L’âge d’or des start-up françaises 
ne fait que commencer

Publié le 7 Décembre 2014

A mille lieues de la morosité générale, les entrepreneurs français rêvent, bâtissent et avancent sans état d’âme. Leur dynamisme est stupéfiant, on ne le dira jamais assez

Xavier Faure

Des évolutions structurelles et durables ont modifié profondément la dynamique de développement des services numériques et rendu possible un véritable âge d’or des start-up à l’échelle mondiale. On peut les classer en quatre catégories.

 

Le monde est plus grand. 

7 milliards de portables, 3 milliards d’internautes, 2 milliards de smartphones.

 

Le monde est plus petit. 

Internet égalise l’accès aux clients. Quand seules les grandes entreprises pouvaient autrefois avoir une présence globale, les start-up Web ou mobiles sont nativement multinationales.

 

Subdivision et externalisation. 

Henry Ford disait : « Rien n’est particulièrement difficile si on le subdivise en petites tâches. » Les start-up peuvent se focaliser sur les parties différentiées de leur offre en déléguant le reste à des services piochés dans le cloud ou des logiciels libres.

 

Méthodes de développement. 

Les méthodes « lean start-up » ont colonisé le monde de l’entrepreneuriat et permis une réduction drastique des coûts et délais de développement des produits tout en améliorant leur adéquation aux besoins. Des produits plus simples et intuitifs, tel est le Graal des start-up du monde entier.

Si tout ce qui précède a été abondamment décrit, peu de commentateurs se sont penchés sur le cas particulier de la France. Pourtant notre pays bénéficie plus que tout autre de ces évolutions structurelles ; elles viennent amplifier chacune de nos forces et éroder chacune de nos faiblesses.

 

Les ingénieurs

Nous avons en France d’excellents ingénieurs. Il est plus facile de recruter des développeurs à Paris qu’à Palo Alto. Les filières continuent d’amener tous les ans sur le marché des milliers d’ingénieurs au rapport qualité-prix incomparable. Malgré ces avantages uniques, la France n’a pas été jusqu’à récemment un grand pays de start-up. La principale raison tient à ce qu’on pourrait appeler le syndrome de l’ingénieur français : une propension à réaliser des prouesses techniques et déployer des trésors d’ingéniosité pour construire des produits qui n’intéressent personne; ou, dit autrement, une capacité à trouver des solutions parfaites à des problèmes inexistants.

Mais le syndrome de l’ingénieur français devient une relique du passé. Les méthodes lean, en plaçant l’utilisateur au centre du processus de développement, réconcilient les ingénieurs avec le marketing. Le « growth hacking », terme à la mode qui signifie programmer la croissance, symbolise bien cette révolution : le marketing est devenu un problème d’optimisation sous contrainte, tâche que les ingénieurs adorent et dans laquelle ils excellent. Ces nouvelles méthodes brisent durablement les silos rigides historiques de la société française : on a fait une école de commerce ou une école d’ingénieur, ce qui nous prédestine à effectuer certaines tâches et à ignorer (ou mépriser) les autres. Beaucoup d’écoles ou d’universités ont monté des cursus d’entrepreneuriat qui réunissent les trois composantes principales de l’innovation : la technique, le business et le design.

L’esprit entrepreneurial

Il y a vingt ans, commencer sa carrière par la création d’entreprise était presque impensable. Les choses ont changé. Entre le chômage, la bureaucratisation croissante, la perte d’autonomie et de sens qui en découle, les évolutions structurelles décrites plus haut, de plus en plus de jeunes et de moins jeunes envisagent l’entrepreneuriat.

Ce n’est pas seulement une question de quantité mais aussi de qualité. Les meilleurs ne se tournent plus (ou plus seulement) vers le consulting, la finance ou les grandes organisations. En termes d’épanouissement personnel et de rémunération, une start-up qui réussit bat toutes les autres carrières. Et en termes d’apprentissage et d’expérience, même une start-up qui échoue apporte plus que la plupart des emplois. Signe qui ne trompe pas, l’entrepreneuriat est la plus grande cause de démission des jeunes collaborateurs des grands cabinets de conseil. Les start-up font désormais partie des priorités professionnelles de nos élites, c’est un phénomène récent dont on ne mesure pas encore la portée.

Le rapport au monde

La frilosité, le complexe d’infériorité de la PME française vis-à-vis de l’international sont en train de disparaître. Les ambitions sont mondiales, très naturellement.

La disparition des frontières plonge nos entrepreneurs dans le bain de la compétition internationale, ce qui leur fait le plus grand bien.

D’abord intimidés, ils ont assimilé et se sont mis à niveau très rapidement. La diaspora française dans la Silicon Valley joue aussi un rôle important : les Français se sont frottés aux meilleurs et ont vu qu’ils y avaient leur place.

Parallèlement, ouvrir un nouveau marché est plus accessible aujourd’hui. Trouver des utilisateurs dans un pays, imaginer et tester les aménagements nécessaires pour adapter le produit, le marketing, le pricing, les canaux de ventes à ce pays, tout ceci est faisable aujourd’hui en grande partie à distance ou avec une présence locale légère, donc une dépense minimale.

La sphère publique

La France est le pays de la réglementation, des impôts et des subventions. En général, cela tend à favoriser les grands groupes, structurés et proches du pouvoir, aux dépens des PME. Mais les start-up font exception à cette règle. D’abord, le gros des contraintes réglementaires frappe les entreprises lorsqu’elles dépassent des seuils : 10, 20 et surtout 50 salariés. Les start-up restent longtemps « sous le radar » de l’essentiel des contraintes. Et quand elles atteignent les seuils, elles ont souvent atteint une vitesse de libération qui leur permet d’en gérer les conséquences.

Autre élément important, les start-up françaises bénéficient de multiples dispositifs de subvention. Une entreprise qui se lance peut obtenir une centaine de milliers d’euros d’aides publiques diverses, notamment auprès de Bpifrance. Or aujourd’hui, 100 000 euros suffisent souvent à lancer la première version d’un produit, l’offrir à des utilisateurs, observer la façon dont ils l’utilisent, l’améliorer et démontrer une dynamique qui permettra d’intéresser des investisseurs. Et l’écosystème français autour des start-up a atteint une maturité telle qu’un bon projet porté par des fondateurs déterminés trouvera presque toujours du soutien.

Tout ceci se traduit par un esprit d’optimisme palpable sur la scène start-up française. A mille lieues de la morosité générale, les entrepreneurs français rêvent, bâtissent et avancent sans état d’âme. Leur dynamisme est stupéfiant, on ne le dira jamais assez. Excédé par le « French-bashing », RudeBaguette, un média anglais qui couvre la scène start-up française, a récemment publié une liste de start-up françaises leaders de leur secteur ou en passe de le devenir. Il en a identifié plus de 70, et en a oublié quelques-unes au passage.

 

Beaucoup d’entreprises établies l’ont compris : il n’y a plus de chasse gardée. La première vague Internet n’a révolutionné « que » la publicité, les médias, la culture et le commerce. Aujourd’hui presque toutes les industries sont bousculées : transport, énergie, hospitalité, finance, éducation, automobile, aérospatial…

La vague d’innovations arrive, mieux vaut en être un acteur que de s’y opposer. Alors les entreprises expérimentent les meilleures façons d’interagir efficacement avec les start-up, ces étranges animaux. Comment ajouter de la puissance à leur agilité sans les dénaturer ?

Bien sûr, tout n’est pas rose. La France demeure un pays conservateur et la protection des statuts, des rentes, des acquis y est endémique. La lourdeur et l’instabilité fiscales et réglementaires peuvent faire très mal à une petite structure. Mais les barrières, les monopoles, les restrictions ne font plus peur à la nouvelle génération d’entrepreneurs. Ils veulent changer le monde comme leurs parents ou grands-parents, à la différence près qu’ils ont les outils pour le faire eux-mêmes. Rien n’est impossible. Plus le problème est difficile, plus il y a de valeur à le résoudre. Et si vous apportez suffisamment de valeur à suffisamment d’utilisateurs, rien ne pourra vous arrêter.

Nous sommes entrés dans l’âge d’or des start-up françaises. Elles ne vont pas résorber le chômage ou éteindre la dette publique à elles seules, du moins pas à court terme. Mais la créativité, l’énergie, l’optimisme, la capacité à faire qu’elles apportent à leurs employés, clients et partenaires sont déjà perceptibles pour peu qu’on prenne la peine de l’observer. Les années qui viennent seront passionnantes.

source : 

http://www.lopinion.fr/2-decembre-2014/l-age-d-start-up-francaises-ne-fait-que-commencer-18974

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