Le réseau Viadeo ne rapporte pas gros (sauf à son patron...)
Publié le 12 Février 2015
Pendant que Xing s'est concentré sur son marché domestique, ils se sont dispersés
Difficile de se mesurer au géant LinkedIn. Le réseau social à la française, Viadeo, trébuche et appauvrit ses actionnaires. Mais pas ses fondateurs.
La scène remonte au 25 novembre 2008. En visite à Paris, Reid Hoffman, le fondateur de LinkedIn, avait invité, pour le lancement de la version française de son réseau social professionnel, quelques blogueurs influents.
Question de l'un d'eux : «Seriez-vous intéressé par le rachat de Viadeo?» Le Californien de rétorquer : «Let it die! (laissons-le mourir!)»
Brutal ! Six ans plus tard, la prédiction d'Hoffman n'a pourtant jamais été aussi près de se réaliser.
Certes, 60 millions de personnes à travers le monde ont enregistré leur CV sur Viadeo, dans l'espoir de trouver un job ou pour enrichir leur carnet d'adresses. Et il ne se passe pas une semaine sans qu'un ancien collègue nous invite à rejoindre son réseau. Problème: ce formidable annuaire ne rapporte pas. On pourrait comprendre ses pertes récurrentes - encore 9 millions d'euros au premier semestre 2014 - si le site était en plein développement. Mais son chiffre d'affaires a baissé de 3,9% en 2014, à 27,5 millions d'euros.
La Bourse n'achète plus l'histoire : son cours a chuté de 69% depuis son introduction en juillet. Les investisseurs en viennent même à douter de la réalité de ses membres. En France, en effet, le nombre de ses visiteurs mensuels stagne à 4,1 millions depuis deux ans (selon Médiamétrie NetRatings), alors que Viadeo annonce être passé de 5 à 9 millions d'inscrits.
En face, LinkedIn et ses 332 millions d'adeptes sont hors d'atteinte.
Mais l'allemand Xing a prouvé qu'il y avait de la place pour un challenger. Bénéficiaire depuis 2012, il vaut sept fois plus cher que le français. «En 2007, Xing avait fait une offre de rachat de 93 millions d'euros aux fondateurs de Viadeo», se souvient Eric Didier, un dirigeant de l'époque.
Avec le recul, Dan Serfaty et Thierry Lunati doivent regretter d'avoir dit non. Le commercial expansif et le discret ingénieur, qui ont lancé leur site Web en 2004, n'ont sans doute pas choisi le bon business model. Pendant que LinkedIn cherche à rallier un maximum de membres gratuits pour mieux vendre sa bibliothèque de CV aux recruteurs des grandes entreprises, le français commence au contraire par faire payer les utilisateurs. D'abord en bridant les fonctionnalités gratuites : pour explorer en détail les profils ou contacter un quidam, il faut ainsi s'abonner à l'offre Premium, à 8,95 euros par mois. Ensuite, avec des pratiques commerciales un poil agressives. De très nombreux internautes se plaignent d'avoir été prélevés à leur insu. «Ils ne nous préviennent pas de la reconduction tacite et restent injoignables», déplore Philippe, un consultant de l'Ain, qui a carrément créé un collectif d'usagers regroupant déjà 103 mécontents. «Nous remboursons tous ceux qui nous contactent de bonne foi», assure Olivier Fécherolle, le directeur de la stratégie de Viadeo. Tout en admettant que la société a longtemps manqué de conseillers clientèle. «Mais ils sont cinq aujourd'hui.» Un effectif un peu léger quand même.
Viadeo a ensuite été trop pressé dans sa conquête du monde. Angleterre et Chine en 2007, Espagne en 2008, Mexique et Inde en 2009, Russie en 2011... le français a englouti sa trésorerie dans l'ouverture de bureaux à l'étranger ou le rachat d'acteurs locaux. Avec un résultat quasi nul puisque, au premier semestre 2014, l'international ne représentait que 2,1% de son chiffre d'affaires. «Pendant que Xing s'est concentré sur son marché domestique, ils se sont dispersés», analyse Jacques Froissant, le P-DG du cabinet de recrutement Altaïde, gros client des réseaux sociaux professionnels.
La Chine, c'était l'eldorado pour Dan Serfaty. Au point qu'il s'y est installé en 2011 avec femme et enfants. Aujourd'hui, Viadeo y affiche 22 millions de membres, mais quasiment aucun revenu. «C'est volontaire, assure Olivier Fécherolle. Nous construisons d'abord notre base pour mieux séduire ensuite les entreprises.» En attendant, l'aventure coûte 7 millions d'euros par an. «Viadeo ne peut pas mutualiser ses coûts avec la France, car il a dû domicilier ses serveurs et l'administration sur place», précise Michel Meyer, qui fut directeur général du réseau entre 2012 et 2013.
Son départ, au bout d'à peine seize mois, illustre le poids excessif des deux fondateurs, qui ont remercié les nombreux managers réfractaires à leur stratégie. «Thierry Lunati est un ingénieur brillant, mais qui n'écoute guère», témoigne un ancien cadre. «Dan Serfaty ne sait pas déléguer», ajoute un autre. Les rémunérations que le duo se verse pèsent aussi lourd dans les comptes. Lorsqu'on additionne son salaire fixe (389 000 euros), ses avantages en nature (162 500 euros, dont le logement à Pékin) et les prestations de «conseil» qu'il vend à Viadeo via sa société KDS (67 000 euros), Dan Serfaty a perçu 618 500 euros en 2013. Lunati émarge de son côté à 607 200 euros annuels. Des salaires hors norme pour une PME. Cela n'a pas dissuadé la Banque publique d'investissement d'entrer à leur capital en 2012. «Cela fait vingt ans que je suis entrepreneur! Je n'ai pas été payé du tout pendant plusieurs années», se défend Dan Serfaty.
Viadeo cherche bien sûr à se relancer. Son application mobile qui permet de postuler en ligne est ainsi très pratique. La société est aussi en train d'étoffer son staff de commerciaux pour prospecter les services RH des entreprises. «Nous avons déjà 21% des 1 000 premières entreprises françaises», explique Olivier Fécherolle. Mais, selon nos informations, Dan Serfaty cherche activement un partenaire financier en Chine à qui il céderait une part, voire la majorité du capital de la filiale. Après quoi les fondateurs pourraient mieux négocier la vente de leur bébé à Xing, l'acquéreur le plus légitime. Sans rancune.
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