Les mobilités et le pétrole: quel avenir?

Publié le 11 Mars 2015

Les mobilités et le pétrole: quel avenir?

Si jusqu'en 1900 la principale source d'énergie était le charbon, depuis le tournant du XXè siècle, c'est le pétrole qui a fait tourner le monde.

Le pétrole, crucial pour l'économie mondiale

Le pétrole alimente la majorité des mouvements de personnes et d'objets, il est décisif pour le secteur de l'industrie, pour un grand pan de l'agriculture et de la distribution de l'eau dans le monde.

Pour le dire autrement, il n'existe quasiment aucune activité essentielle au monde moderne qui n'implique pas une forme de mouvement; et il n'existe quasiment aucune activité liée au mouvement qui ne dépende pas du pétrole. Ceci a permis une accélération étonnante des vitesses de déplacement.

La ressource contingente qu'est le pétrole, l'or noir, a été primordiale pour la civilisation occidentale, focalisant le "siècle américain" sur un ensemble de systèmes à haute consommation de carbone.

C'est pourquoi étudier le pétrole et ses propriétés uniques est fondamental; essentiellement parce que le pétrole est non renouvelable et en voie d'épuisement. La prise de conscience du pic pétrolier remonte aux années 1960, l'approvisionnement des États-Unis en pétrole a plafonné en 1970, les réserves mondiales en 2006, si l'on en croit les estimations généralement optimistes de l'Agence internationale de l'Énergie. Celles de la Chine viennent tout juste de culminer. Plus de 95% de l'énergie liée aux transports est assurée par le pétrole.

Le compte à rebours pour assurer la relève du pétrole

Actuellement il n'existe pas de plan B en mesure de prendre la relève des systèmes basés sur le pétrole pour déplacer les gens et les objets en voiture, bus, avion, bateau, et dans certains cas, en train.

Des changements sociotechniques antérieurs indiquent qu'il faut trois ou quatre décennies pour qu'un nouveau système émerge et aboutisse à des résultats significatifs. Pour que cela soit le cas, le nouveau système doit être mondial: ce qui se passe dans telle ou telle société, à l'exception de la Chine, de l'Inde, des États-Unis et peut-être du Brésil, est donc insignifiant, sauf à titre d'exemple. Certains estiment que d'ici une vingtaine d'années, la Chine aura consommé toutes les réserves mondiales en pétrole! Le changement qui sera à même de ralentir le taux de croissance des émissions de carbone ou de mettre fin à la flambée de la consommation du pétrole mondial devra être global et rapide.

Il se peut que la sobriété en carbone soit imposée dans nos sociétés. Il est toutefois difficile de croire que le nouvel ensemble de systèmes adéquat soit "inventé" à temps et à une échelle suffisante. L'innovation est compliquée, fragmentaire et "complexe," engendrée par l'agrégation synchronisée d'un grand nombre de facteurs différents à échelle locale, nationale ou mondiale. L'innovation est une question de mode et d'engouement, d'auto-organisation et de synchronisation entre des agents divers qui produisent une idée, une machine ou un système.

Lorsque la synchronisation réussit, le monde change.

Une innovation remarquable chamboule le monde et personne n'arrive à imaginer comment on a pu vivre sans.

Elle est présente au cœur de la vie des gens, rapidement tenue pour acquise et comme appartenant au nouveau décor du quotidien. C'est ce qui s'est passé très récemment avec les téléphones mobiles et les réseaux sociaux.

Des conséquences sociales et politiques

Le pic pétrolier entraînera sans doute une forte agitation politique et sociale. Lorsque la production pétrolière aura passé son pic, la taille et l'efficacité globale de l'économie mondiale et de la société plafonneront également. En réalité, une flambée massive et durable des prix du pétrole pourrait freiner ce système qui propulse le monde vers de sérieux problèmes de changement climatique. Cette dernière pourrait être engendrée, par exemple, par une grande instabilité dans l'un des principaux pays producteurs de pétrole, et ils ne sont pas très nombreux. Le pic pétrolier pourrait atténuer le changement climatique plus efficacement que l'ensemble des politiques écologiques mûrement réfléchies, mais seulement dans le cadre d'une décroissance vertigineuse de l'économie et de la société mondiale au stade de l'après pic pétrolier. Maintenir les niveaux de production actuels nécessiterait qu'une nouvelle Arabie saoudite émerge tous les trois ans. Si cela ne se fait pas, nous assisterons à des bouleversements dramatiques et dangereux du "paysage," en comparaison desquels le grand krach de 2008 semblera avoir été une fête d'anniversaire.

Le pétrole est une substance magique, éminemment dense en énergie et mobile. C'était trop beau pour être vrai. La vie sociale et économique, les régimes de production et les systèmes de déplacement, les habitudes et les pratiques des populations du XXème siècle ont été rendus entièrement dépendants du pétrole. Ce siècle a laissé un héritage déplorable au siècle débutant: un double fardeau d'émission de carbone croissante et de tarissement de la ressource.

​http://www.huffingtonpost.fr/john-urry/

John Urry est professeur émérite britannique de sociologie et directeur du Centre for Mobilities Research à l’Université de Lancaster.

Depuis le milieu des années 1990, il milite pour un changement de perspective sociologique, rompant avec l’étude des structures sociales aspatiales au profit de celle des mobilités multiples, interdépendantes et contestées. Il a ainsi contribué au développement d’une nouvelle approche de la sociologie baptisée « le nouveau paradigme des mobilités ». Ces dernières années, il a développé des travaux de recherche examinant l'incidence du changement climatique et de la pénurie d'énergie sur l'évolution des formes de vie sociale. Il est également co-fondateur de la revue Mobilities.

source : http://www.huffingtonpost.fr/john-urry/avenir-mobilite-petrole_b_6086864.html

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