Rapport Jean-Pierre JOUYET : L’immatériel est aujourd’hui le facteur clé de succès des économies développées

Publié le 16 Mars 2015

Rapport Jean-Pierre JOUYET : L’immatériel est aujourd’hui le facteur clé de succès des économies développées

1.L’ÉCONOMIE A CHANGÉ MAIS LA FRANCE N’EN TIRE PAS TOUTES LES CONSÉQUENCES

L’immatériel est aujourd’hui le facteur clé de succès des économies développées.

L’économie a changé.

En quelques années, une nouvelle composante s’est imposée comme un moteur déterminant de la croissance des économies : l’immatériel.

Durant les Trente Glorieuses, le succès économique reposait essentiellement sur la richesse en matières premières, sur les industries manufacturières et sur le volume de capital matériel dont disposait chaque nation. Cela reste vrai, naturellement. Mais de moins en moins. Aujourd’hui, la véritable richesse n’est pas concrète, elle est abstraite.

Elle n’est pas matérielle, elle est immatérielle.

C’est désormais la capacité à innover, à créer des concepts et à produire des idées qui est devenue l’avantage compétitif essentiel. Au capital matériel a succédé, dans les critères essentiels de dynamisme économique, le capital immatériel ou, pour le dire autrement, le capital des talents, de la connaissance, du savoir. En fait, la vraie richesse d’un pays, ce sont ses hommes et ses femmes.

Qu’on en juge. Il y a trente ans, être un leader de l’industrie automobile, c’était avant tout s’imposer par des critères techniques, par exemple les caractéristiques de la cylindrée. Aujourd’hui, c’est la marque, le concept, le service après-vente ou le degré de technologie intégrée dans les véhicules qui font, dans ce secteur, la réussite industrielle. L’organisation du travail fait l’objet d’une nouvelle division internationale : la production se déplace dans les pays à bas coûts de main-d’œuvre et les pays développés se spécialisent dans les technologies de pointe, la construction de l’offre commerciale, la création du concept ou la maîtrise du design.

Tous les secteurs industriels, des semi-conducteurs au textile, des logiciels aux télécommunications, font désormais de l’immatériel la clé de leur avenir. La valeur des entreprises repose de plus en plus sur des éléments immatériels, parfois quantifiables, parfois moins, par exemple la valeur de leur portefeuille de brevets et de leurs marques ou la capacité créative de leurs équipes. Pour comprendre ce mouvement, il faut revenir sur trois ruptures qui marquent l’économie mondiale depuis plus de vingt ans. D’une part, la place croissante de l’innovation, qui est devenue le principal moteur des économies développées. Jusqu’aux années 70, on pouvait se contenter d’imiter ce que trouvaient les États-Unis.

Aujourd’hui, la France n’a, comme les autres, pas d’autre choix que de trouver ce qui n’a pas encore été découvert. D’autre part, le développement massif des technologies de l’information et de la communication, ouvre aux entreprises des possibilités considérables de réorganisation de leur production et de recentrage sur les activités à plus forte valeur ajoutée. Enfin, la tertiarisation continue des pays développés, qui reposent de plus en plus sur des économies de services, dans lesquelles les idées, les marques et les concepts jouent un rôle essentiel. En toile de fond, deux autres tendances lourdes des économies développées – la mondialisation et la financiarisation – facilitent le recentrage des entreprises sur les activités les plus créatrices de valeur, c’est-à-dire les activités immatérielles. Ces trois évolutions concernent l’ensemble des économies développées. Dans chacune d’entre elles, les secteurs spécialisés dans les biens et services à caractère immatériel ont un poids économique en constante augmentation. En France, ils représenteraient, au sens large, environ 20 % de la valeur ajoutée et 15 % de l’emploi. Mais au-delà de ces secteurs, c’est toute la valeur créée par l’économie française qui se dématérialise chaque jour un peu plus. Dans toutes les entreprises, quels que soient le produit ou le service vendus, la création de valeur se fonde de plus en plus sur des actifs immatériels.

Faute de prendre la mesure de ce changement et d’en tirer les conséquences, la France aborde ce défi de l’immatériel fragilisée

Dans cette économie de l’immatériel, le succès ira aux économies qui se montreront les plus capables d’attirer et de valoriser les talents, c’est-à-dire concrètement de se doter du meilleur potentiel de formation et de recherche et de favoriser le plus largement possible l’innovation, dans la sphère privée comme dans la sphère publique. Il n’est pas étonnant que, dans les appréciations mondiales de la compétitivité de la France, la perception l’emporte sur la réalité et, souvent, s’y substitue : l’idée que l’on se fait des choses est souvent plus importante que la chose elle-même. Dans ce contexte, les entreprises ont, pour beaucoup, bien compris le rôle de l’innovation, de la connaissance, de la marque, des images, et le capital intangible qu’elles représentent. Formation, recherche, innovation, c’est sur ces critères que seront de plus en plus classées les Nations. Et c’est sur ces trois critères que notre économie présente des faiblesses importantes et durables. Certaines de ces fragilités sont désormais bien connues, en particulier les failles de notre système d’enseignement supérieur, handicapé par une organisation qui entretient l’échec de masse et rend nos universités invisibles sur la scène mondiale, et celles de notre appareil de recherche, en raison notamment d’une organisation publique de la recherche aujourd’hui dépassée et d’une insuffisante valorisation des résultats des travaux effectués. Les revenus tirés de la propriété intellectuelle représentent ainsi, selon les années, entre 3 % et 5 % du budget de la recherche aux États-Unis, contre 1 % en France. D’autres le sont moins alors qu’elles constituent également un frein à notre positionnement dans l’économie de l’immatériel. D’une manière générale, nos structures fonctionnent bien en ce qui concerne les entreprises en place, celles qui sont déjà bien installées, alors que le renforcement de notre potentiel d’innovation nécessiterait de tout mettre en œuvre pour inciter les plus jeunes entreprises à se développer, en leur facilitant par exemple l’accès au capital, aux aides à la recherche, aux financements publics et privés, en développant une réglementation de qualité qui ne limite pas l’entrée sur de nouveaux marchés ou encore en évitant que le système de protection de la création et des idées ne réduise trop la réutilisation de découvertes antérieures. Ce sont aussi sur ces jeunes ou petites entreprises que nos rigidités dans l’organisation et les réglementations du travail pèsent le plus. À ces handicaps s’ajoute une faiblesse encore plus rarement évoquée : la gestion du patrimoine immatériel. L’État et les autres administrations sont riches d’un potentiel d’actifs immatériels important, grâce en particulier aux droits d’accès que l’État accorde ou à certaines ressources rares dont il a la maîtrise et qui représentent, pour les entreprises, un facteur de développement considérable. Les fréquences hertziennes, utilisées pour recevoir une communication sur un téléphone mobile ou une image sur un poste de télévision, ou les autorisations d’accès à certaines activités, en constituent deux exemples types. Faute de gérer correctement ces actifs, l’État prive l’économie d’une source de richesses essentielle pour certains secteurs industriels. Mais au-delà de ces actifs immaté- riels publics, l’État peut influencer la valorisation du patrimoine immatériel de la nation. Dans l’économie immatérielle, notre histoire, notre géographie, nos territoires sont autant d’atouts dont on peut tirer des richesses. Mais pour cela il faut développer la protection des marques culturelles et entreprendre plus systématiquement leur mise en valeur.

Il est illusoire de considérer que la France pourra demain apparaître comme un acteur majeur de l’économie mondiale sans remédier à ces faiblesses.

Nous sommes en réalité à un moment clé. La rapidité avec laquelle s’est développé le haut débit en France, l’occasion qu’ont su saisir récemment les jeunes entrepreneurs français pour s’imposer comme des leaders de la nouvelle génération du Web, le départ croissant de chercheurs à l’étranger comme la renommée internationale de marques françaises le montrent : notre pays regorge de talents et d’idées.

Faute de s’atteler à des réformes difficiles, mais inévitables, il court cependant le risque de ne pas savoir les valoriser et, au contraire, de laisser d’autres économies en profiter.

2. FAIRE DE LA FRANCE UN LEADER DE L’IMMATÉRIEL

Dans le nouveau jeu économique, nous avons les atouts et les ressources indispensables pour gagner des points : nous ne manquons pas de matière grise alors que nous manquons de matières premières ou de capitaux. Ne nous trompons pas : l’économie de l’immatériel sera la plus forte source de croissance des pays dans ce 21e siècle. C’est par là que se créeront richesses et emplois. Plutôt que de gâcher notre potentiel, développons-le et profitons au mieux de ce nouveau relais de croissance. Ayons pour but de valoriser nos talents, mais aussi d’attirer ceux des autres. Nous devons reconstruire la « marque France », pour qu’à l’étranger nous soyons désormais perçus comme une plate-forme de création et d’innovation, une référence dans la société de la connaissance. Mais pour cela il nous faut changer : changer de réflexes, changer d’échelle et changer de modèle

Changer de réflexes

Accroître le volume des actifs immatériels privés et publics est un impératif de politique économique. Pour y parvenir, nous devons abandonner certains de nos réflexes qui, au lieu de favoriser ces actifs, freinent leur développement.

Le premier réflexe dont nous devons nous défaire, c’est celui qui consiste à favoriser les situations acquises.

source : http://www.iesf.fr/upload/pdf/economie_de_l_immateriel.pdf​

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