Le financement de l’économie par les banques ? Il est dépassé : par Nicolas Colin, cofondateur du fonds d’investissement The Family

Publié le 9 Novembre 2015

Le financement de l’économie par les banques ? Il est dépassé : par Nicolas Colin, cofondateur du fonds d’investissement The Family

Pour cet acteur du Net, il est urgent de s’adapter à la transition numérique.

Inspecteur des finances, Nicolas Colin est cofondateur du fonds d’investissement The Family. Praticien autant que penseur d’une transition numérique dans laquelle il voit l’avènement de «nouveaux barbares» régénérant une économie fordiste à bout de souffle, il fait paraître ce lundi la Richesse des nations, après la révolution numérique(Terra Nova). Un plaidoyer radical à la lecture parfois anxiogène, en faveur d’une nouvelle politique économique à l’ère de l’ubérisation.

La France de 2015 sous-estime-t-elle l’ampleur de la révolution numérique ?

A la différence de la bulle des années 2000, la transition numérique concerne de plus en plus de secteurs. Elle ne touche plus seulement des actifs devenus immatériels - industries culturelles ou modes de distribution comme le e-commerce -, mais aussi l’automobile, la santé, la finance ou l’énergie, et sa mécanique se déploie. La manière de produire et de consommer diffère du tout au tout du paradigme fordiste de l’économie de masse standardisée qui a prévalu jusqu’à récemment. Or, nos institutions ont le plus grand mal à s’adapter, ce qui contribue au malaise actuel et mine l’économie.

En quoi nos institutions sont-elles dépassées ?

On peut tout revisiter à l’aune des bouleversements induits par cette transformation radicale.

Le financement de l’économie par les banques ? Il est dépassé à l’heure où il s’agit de financer des efforts de révolution plutôt que d’expansion, des entreprises nouvelles plutôt que matures, des innovations de rupture plutôt que d’optimisation.

La protection sociale ? Elle a été conçue pour des emplois stables alors qu’ils sont de plus en plus divers, discontinus et multiformes. Les individus changent de plus en plus d’employeur, voire de statut d’emploi, et vivent de la multiactivité. De la fiscalité à la politique industrielle, du soutien à l’innovation au dialogue social, on pourrait multiplier les exemples de ce décalage croissant entre l’intensité de la transition en cours et l’anachronisme de politiques qui, pour l’essentiel, visent à perpétuer un monde révolu.

Mais on ne peut pas tout balayer…

Cette mutation numérique se diffuse à un rythme plus ou moins rapide selon les catégories du corps social, et c’est vrai que tant de gens et d’activités dépendent encore de cet ancien monde. Mais il ne reste plus beaucoup de temps pour épouser le nouveau et rien ne garantit plus que la France, de plus en plus déclassée, notamment par la superpuissance numérique américaine, parviendra à maintenir son rang. La seule manière de compenser les destructions d’emplois liés à cette transition est d’en créer de nouveaux. En théorie, cette transition a même un effet démultiplicateur sur l’emploi.

Pourquoi cela ne marche-t-il pas en France ?

C’est un cercle vicieux : notre retard, que les pouvoirs publics, de gauche comme de droite, aggravent en restant bloqués sur des leviers d’action dépassés (baisse des charges, soutien sectoriel aux entreprises en place) afin de préserver des rentes, est un frein à l’émergence de grandes entreprises «écosystémiques». Résultat, les millions d’emplois créés le sont ailleurs et ne peuvent compenser les destructions sur notre territoire. Cet échec est un facteur d’aggravation du chômage et des inégalités.

Mais ces inégalités s’aggravent encore plus outre-Atlantique !

Oui, mais pas parce qu’ils échouent dans leur transition numérique. Il leur manque les institutions pour mieux répartir la colossale richesse qu’elle crée et assurer les individus. C’est un fait que cette mutation accroît les inégalités et exerce des effets très négatifs sur les classes moyennes. Le marché du travail est de plus en plus dual, avec d’un côté des emplois peu accessibles mais très qualifiés et de l’autre la prolifération d’emplois peu qualifiés et peu productifs. Entre ces deux extrêmes, les emplois qualifiés et fondés sur un important savoir se raréfient. Leur caractère routinier permet peu à peu de les remplacer par des algorithmes.

Comment arrêter ce mouvement qui semble inéluctable ?

Le numérique permet d’augmenter la valeur d’activités jusqu’ici peu productives. Mais créer massivement des emplois nécessite d’abaisser les barrières réglementaires et pas d’entraver ces évolutions inéluctables, comme on l’a vu avec les VTC [véhicules de tourisme avec chauffeur].Quantité de tâches réservées aux avocats peuvent être confiées à moindre coût à des conseillers juridiques devenus experts en maniement de bases de données ; les infirmières disposeront d’outils afin d’effectuer des actes réservés aux médecins, etc. En considérant cette transition comme une opportunité plutôt que comme une menace, on peut préparer l’avenir et faire de ces travailleurs les moins qualifiés la classe moyenne de demain.

Il va falloir réinventer la protection sociale qui va avec…

Dans ce nouveau monde dans lequel les entreprises vont bien plus souvent mourir qu’auparavant, une meilleure sécurisation des parcours professionnels est plus que légitime, elle est vitale. Notre environnement de multiactivité, avec des changements d’emplois et donc de domicile bien plus fréquents, nécessite de mieux sécuriser les travailleurs, en particulier les nouveaux «contributeurs» indépendants. Peut-être que les entreprises numériques, grâce à leurs rendements croissants, apporteront elles-mêmes des réponses assurantielles adaptées. Ces changements peuvent parfois apparaître insurmontables. Mais ils sont indispensables pour sortir de l’impasse actuelle : quitter un paradigme en extinction et rejoindre celui qui émerge chaque jour avec plus de force.

Si nous ne nous adaptons pas, nous mourrons

source : http://www.liberation.fr/futurs/2015/11/08/nicolas-colin-les-politiques-perpetuent-un-monde-revolu_1412143

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