Les banques sous la menace de l’uberisation : encore combien de temps à vivre ?
Publié le 22 Décembre 2015
Qu’il s’agisse de la densité de leur réseau d’agences ou des partenariats qu’ils nouent avec les FinTech, les parades imaginées par les établissements traditionnels n’auront guère d’utilité, selon Philippe Herlin, face au succès prévisible des start-up de la finance. Les banques sous-estiment la menace d’« uberisation » qui pèse sur elles.
Un spectre hante tous les secteurs de l’économie : l’« uberisation ». Le néologisme est récent, il exprime comment les chaînes de valeur éprouvées et les positions solidement établies sont court-circuitées par de nouveaux acteurs utilisant à plein les possibilités d’Internet et des smartphones géolocalisés. Les exemples foisonnent : Uber, qui donne son nom au phénomène, pour les taxis, Booking et Airbnb pour les hôtels, Blablacar pour le transport de personnes, tandis que d’autres acteurs plus anciens entrent également dans cette catégorie comme Amazon. Personne n’est à l’abri, même pas Internet, comme on le voit avec les sites de téléchargement, qui ont évincé les disquaires mais se retrouvent sérieusement concurrencés par les sites de streaming.
Ces derniers temps, un nombre croissant de start-up s’intéressent au secteur bancaire ; on les appelle les FinTech. La banque est une activité plus complexe que les taxis ou la musique en ligne, parce qu’elle regroupe plusieurs métiers : moyens de paiement, épargne, crédit, pour prendre les plus basiques, mais aussi devises, affacturage, produits de couverture, etc.
Par conséquent, il ne peut donc pas y avoir « une » innovation disruptive qui « uberise » les banques, mais une multitude.
Néanmoins, on observe que l’attaque principale porte sur les moyens de paiement, et c’est le plus dangereux puisqu’il s’agit du point d’entrée du client, celui par lequel il accède ensuite aux autres services. Cette offensive s’avère d'autant plus sérieuse qu'elle est menée par des acteurs imposants comme Apple, Orange ou Facebook.
En Afrique, Orange et Vodaphone ont créé des services bancaires complets qui reposent sur leur infrastructure télécom : les banques n’ont pas été uberisées – elles n’existaient même pas, ou si peu (taux de bancarisation très faible) –, elles sont tuées dans l’œuf. Orange Money (en Afrique de l’ouest) et le M-Pesa de Vodaphone (en Afrique de l’est, notamment au Kenya) sont des succès éclatants. Pourtant, lorsque ces acteurs, ainsi qu’Apple avec Apple Money, investissent le marché des paiements en Europe et aux États-Unis, ils choisissent de ne pas affronter les banques et de s’allier avec elles. Pour quelle raison ?
Des partenariats appelés à devenir des bras de fer
Déjà possesseur des 800 millions de numéros de cartes bancaires de ses clients via iTunes (dont l'inscription est obligatoire pour les acheteurs d'iPhones et d'iPads), la firme californienne aurait pu proposer un système de paiement comparable à Paypal en permettant à deux titulaires de comptes iTunes de s'envoyer de l'argent. Un tel service serait entré en concurrence frontale avec les banques. Cependant, le véritable objectif d'Apple ne consiste pas à attaquer le système bancaire maintenant, alors que la firme entre sur le marché et ne possède donc pas de position de force, mais à habituer le grand public à payer avec son smartphone. Au début, ce dernier sera d’autant plus rassuré que sa propre banque participe à ce nouveau moyen de paiement. Puis, lorsque l’habitude sera prise, lorsque tout le monde paiera avec son smartphone, il sera temps pour Apple de renégocier les termes du contrat en sa faveur, ou d'« uberiser » les banques avec un nouveau système de paiement.
Le chiffre est certes confidentiel mais, selon des experts, Apple toucherait 0,15 % de commission sur la transaction, sur un total de 2 à 3 % en moyenne, ce qui n'est vraiment pas beaucoup. D'autant qu'aux États-Unis, les cartes sont magnétiques, et non à puce comme en Europe, et elles subissent de ce fait un taux de fraude relativement élevé, auquel Apple apporte une solution définitive (identification par l'iPhone et par l'utilisateur avec ses empreintes digitales). Ce seul service aurait dû être facturé plus cher. Et si l'objectif était d'abord d'endormir les banques ? Les opérateurs télécoms font de même en Europe et s’associent aux banques, plutôt que de les concurrencer ouvertement.
Parmi les grands types d'acteurs qui entrent sur le domaine du paiement, on peut distinguer, dans le sillage du premier impétrant, Paypal, les fabricants de smartphones (Apple, Samsung), les opérateurs télécoms (Orange, Vodaphone), les grands sites mondiaux qui veulent monétiser leur audience et étendre leurs services (Google Wallet, Facebook Messenger qui permet le transfert d'argent entre amis), ou Microsoft qui a racheté Nokia pour assurer sa présence sur les mobiles, et peut-être Twitter. Les grands distributeurs sont également présents et, aux États-Unis, le leader Walmart a lancé, avec d'autres grandes chaînes, le système de paiement CurrentC.
Mais l’offensive ne se limite pas aux paiements, les banques sont également attaquées sur leurs autres métiers comme le crédit aux particuliers (Lending Club, le leader mondial) et aux entreprises (le crowfunding), le transfert d’argent, l’affacturage, ou même des activités plus complexes et plus personnalisées comme la gestion de fortune (par des start-up qui utilisent le big data).
Des stratégies inefficaces pour les banques
Les banques peuvent-elles résister à cet assaut ? Sont-elles seulement conscientes de son ampleur ? Leur stratégie demeure timorée, la plupart pensent contrôler le phénomène en prenant des parts au capital de plusieurs FinTech et en se disant qu'elles les rachèteront si elles connaissent le succès. Une tactique vouée à l'échec. En effet, c'est comme si une compagnie de taxis avait pris un pourcentage du capital d'Uber ou un groupe hôtelier dans Airbnb ; désormais, ces entreprises sont devenues hors de prix ! Et ne parlons même pas des multinationales comme Apple (première capitalisation mondiale), Google ou Orange, déjà trop chères.
Les barrières réglementaires peuvent servir de protection. Les banques américaines s’en sont d’ailleurs servi en 2005 pour empêcher Walmart d’obtenir une licence bancaire : ce groupe présentait évidemment toutes les garanties nécessaires, mais il serait devenu un concurrent trop menaçant. Cependant, la légitimité de cette législation protectrice a été sérieusement remise en cause avec la crise de 2008, où de nombreuses banques ont dû faire appel à l’État pour éviter la faillite ; il devient désormais difficile de prétexter des risques pesant sur les épargnants pour bloquer l’entrée de nouveaux acteurs. Dans le même temps, l’Union européenne facilite la concurrence entre les banques, mais aussi avec les nouveaux entrants, avec par exemple la directive SEPA (Espace unique de paiement en euros).
Les banques pensent également pouvoir s'appuyer sur leur réseau, très dense, mais de nos jours, les clients sont en relation avec leurs comptes essentiellement via Internet ou leur smartphone. Il ne faut donc pas exagérer leur avantage concurrentiel concernant le réseau physique, il s’agit même pour elles plutôt d’un poids.
Les banques peuvent trouver la parade
Pour résister et reprendre l'initiative, les banques doivent quitter leur statut d’observateur et remettre en cause leur propre business model.
La menace de l’« uberisation » traduit l’existence de rentes injustifiées, d’une compétitivité déficiente, d’un service au client de mauvaise qualité, et ces maux se retrouvent aujourd’hui dans la banque de détail.
L’effort principal doit porter sur les moyens de paiement, l’enjeu le plus stratégique, le point d’entrée du client comme nous l’avons vu. Faisons quelques suggestions.
Premièrement, les banques doivent imposer la vérité des prix sur les moyens de paiement, c’est-à-dire rendre les chèques et les retraits en liquide payants, au moins en partie, et, en contrepartie, baisser les frais de carte bancaire pour les commerçants à 1 % (contre 2 à 3 aujourd’hui), de façon à bloquer ou à contenir les nouveaux arrivants. Les fabricants de smartphones et les opérateurs téléphoniques n’auraient ainsi plus de marge de manœuvre pour substituer leur propre système et devraient se contenter d’une part des commissions, en tant que simple partenaire de l’établissement bancaire.
Deuxièmement, les banques doivent diviser au moins par deux leur nombre d’agences et de salariés, et faire bénéficier leurs clients des économies réalisées par une baisse significative des frais bancaires, un point noir comme chacun le sait. Par ce traitement de choc, les banques retrouveraient de bonnes relations avec leurs clients, les commerçants comme les particuliers, là où l’emportent actuellement la suspicion et les récriminations. Leurs autres métiers devront aussi repenser en profondeur leur façon de fonctionner, en devenant notamment plus accessibles et meilleur marché.
Sinon, c’est l’« uberisation » qui attend les banques, et plus vite qu’elles ne le croient.
source : http://www.revue-banque.fr/banque-detail-assurance/article/les-banques-sous-menace-uberisation
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http://ookawa-corp.over-blog.com/2015/11/uberisation-cela-signifie-quoi.html
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