L'e-sport (considéré comme le sport de la génération digitale) est une nouvelle industrie
Publié le 22 Février 2016
L'e-sport commence à agiter les chaumières marketing et publicitaire ! Ce divertissement qui ne date pas d'hier, peut demain devenir non pas un phénomène mais une culture implantée durablement dans notre société. Explication avec Angela Natividad, co-fondatrice de Hurrah.
De la chambre d’ado au cyber café en passant par le Staples Center à Los Angeles ou encore par la diffusion live suivie par des millions de spectateurs, le cadre du jeu vidéo en ligne a été bouleversé en quelques années et l'e-sport lui offre une médiatisation à faire pâlir les plus grands événements sportifs.
Il suffit de jeter un coup d'oeil aux chiffres pour s'en rendre compte : 141 millions d’heures chaque mois sont consacrées pour regarder des jeux en ligne multijoueurs, 84 millions pour les jeux de tir et 36 millions suivent des compétitions de jeux de cartes.
Avec 35 millions de gamers réguliers, la France n’est pas en reste, et 31% de nos compatriotes regardent des clips ou des vidéos de parties de jeu vidéo mises en ligne par d'autres joueurs.
Si le e-sport a le profil type d’un futur grand champion, voir même d’une rock star, les médias commencent à peine à entrevoir le potentiel de cette discipline et les marques marchent sur des oeufs. Considéré "comme le sport de la génération digitale", il offre une entrée privilégiée pour se connecter aux générations Y et Z mais les agences spécialisées se font rares. Nous avons discuté avec l’une d’entre elles. Précisions avec Angela Natividad, cofondatrice et directrice générale d'Hurrah, agence pionnière dans l'e-sport en France.
INfluencia : à quel besoin répond aujourd’hui l’e-sport ? Nouveau comportement, usages, tendance forte ?
Angela Natividad : originellement, l’e-sport permettait aux fans de jeux vidéos multi joueurs de se retrouver lors d’un évènement live pour regarder les meilleurs joueurs, qui n’étaient pas encore professionnels à l’époque, s’affronter. Au fur et à mesure, les éditeurs des jeux vidéos se sont réappropriés ce phénomène pour assurer la promotion et surtout la pérennité de leur jeu. Avoir une énorme fanbase de joueurs regardant l’e-sport assure, en effet, la longévité d’un jeu car cela permet la rétention des joueurs qui, pour suivre la scène compétitive, doivent reactualiser leurs connaissances sur les nouveaux héros, les nouvelles cartes, les nouvelles armes...
Des éditeurs tels que Riot Games (League of Legends), Blizzard (Hearthstone, Starcraft 2) ouValve (Dota 2, Counter Strike Global Offensive) ont donc massivement investi ce nouveau marché. Avec l’arrivée de Twitch (première plateforme de streaming dédiée au gaming) en 2011, l’e-sport s’est internationalisé, offrant une nouvelle expérience aux fans : un tournoi peut désormais être regardé par des millions de fans simultanément à travers le monde. Les meilleurs joueurs sont devenus des professionnels -et des super stars- et les plus grosses équipes ont vu leurs nombres de supporters exploser, à tel point que certaines d’entre elles ont désormais autant de fans que les plus grandes équipes de football.
Pour les gamers, l’e-sport ne répond pas à un besoin. Au contraire, il est parti d’un usage unique, à savoir un regroupement de passionnés qui assistent à des compétitions de très haut niveau, pour générer un nouvel usage : la consommation passive du jeu vidéo comme les fans le faisaient pour le sport. Beaucoup appellent d’ailleurs ce phénomène le sport de la génération digitale, où les supporters encouragent leur équipe avec autant d’ardeur que pour le foot, et où le public apprécie les coups stratégiques des grands matchs comme n’importe quel fan de basketball.
IN : que représente ce secteur aujourd’hui en France ?
A.N. : l’e-sport représente pour le monde entier le sport de la génération digitale. Et ses acteurs français ont toujours joué un rôle important, voire primordial, dans le développement de ce nouveau divertissement. L’ESWC, organisateur de tournoi français, a, par exemple, été l’un des premiers à remplir un stade pour un tournoi d’e-sport (ESWC 2006 à Paris Bercy). Le Meltdown, cofondé par 3 amis français, est la première chaîne mondiale de bar e-sport où les gamers viennent boire un verre pour regarder et participer à des compétitions. Depuis leur lancement en 2012, ils ont ouvert 27 bars dont 15 sont en France. Sans oublier, Gamoloco, le premier site d’analyse 100% e-sports tout comme l’Équipe 21 une des chaînes TV précurseurs qui diffusent de l’e-sport à la télé. Ainsi que notre agence qui participe cette vague française porteuse. L’e-sport est pour la France autant un nouveau divertissement qu’une nouvelle industrie, et aide à mettre en avant les entreprises françaises au niveau international. De nouveaux métiers se créent et de nouvelles vocations professionnelles émergent.
IN : quel type d’annonceurs peut utiliser l’e-sport ?
A.N. : fin 2015, 579 M$ ont déjà été investis par les sponsors dans une industrie qui n’existait pas officiellement, il y a encore quelques années. Une vaste majorité de ces investissements viennent d’annonceurs qui ont une connexion directe avec l’univers du gaming comme Nvidia, Intel,Logitech or Asus. Mais nous avons également vu des marques plus globales comme HTC, Samsung, Red Bull, Monster Energy ou Coca-Cola... investir le marché de l’e-sport.
Avec l’arrivée en 2015, de nouveaux médias mainstream (L’Équipe 21, ESPN, Turner, MTG...), nous avons observé une nouvelle vague de marques grand public comme McDonald’s, PizzaHut,Orange, Red by SFR, Nissan, Duracell, HBO, Auchan ou Kaporal... investir le marché, mais uniquement via du sponsoring et sans investissement publicitaire majeur pour le moment. C’est un manque à gagner certain pour de nombreux annonceurs grand public lorsque l’on sait que l’e-sport offre un nouvel accès aux générations Y et Z. Avec un coeur de cible publicitaire d’homme âgés de 21 à 35 ans (environ un tiers de l’audience totale selon le pays étudié) et avec une communauté composée d’environ un tiers de femmes, la cible marketing de nombreuses marques est présente dans l’e-sport. Les annonceurs ont toujours communiqué auprès d’une audience toujours plus sollicitée par leurs concurrents. Avec l’e-sport, ils ont une opportunité unique de se différencier en s’adressant à un public de passionnés, régulièrement coupés du circuit publicitaire traditionnel et surtout où aucun de leurs concurrents n’est encore présent pour le moment !
IN : cela ouvre-t-il le champ de la créativité ?
AN : bien évidemment ! Tout comme le sport, l’e-sport a des pauses publicitaires, mais celles-ci ne montrent quasiment jamais de pub... Et lorsque qu’il y en a, elles ne concernent que des marques directement liées au gaming ! C’est comme si le rugby ou le Super Bowl n’avait que des publicités d’équipementiers sportifs. Créativement, il y a encore tout à faire, que ce soit en vidéo, en social media, en plateforme digitale, en sponsoring, ou pour tout autre type de support de communication. Nous aimons présenter à nos prospects l'existence de “légendes” et de “mythes” construits autour des sports classiques, comme ces histoires fortes d’athlètes qui sont partis de rien, et qui ont réussi leur carrière à la sueur de leur front, en s’appliquant une rigueur ou en mettant de l’émotion dans leur entraînement. En revanche, dans ce jeune divertissement qu’est l’e-sport, tout reste à écrire, même ses légendes : les storytellers les plus intelligents arriveront sans aucun doute à en tirer un avantage pour les marques. Celles qui reconnaîtront la valeur des gamers et leur passion pour l’e-sport seront récompensées.
C’est d’ailleurs notre vision chez Hurrah. Nous sommes tous des fans d’e-sport et nous nous interdisons de créer des publicités que nous n’aimerions pas voir. Nos prises de parole sont authentiques, stratégiques et créatives. Nous espérons pouvoir partager cette connaissance du marché avec les annonceurs et leurs agences, car les marques qui saisiront ce marché en 2016 auront un énorme avantage sur leurs concurrents, qui eux, n’y seront pas représentés.
IN : récemment, le club de Football de Wolfsburg a recruté un joueur professionnel d’e-sport pour le représenter, pendant les compétitions. Quel est l’intérêt pour " les loups ", comme on les surnomme, d’être mentionné à ce niveau ?
AN : une réponse évidente pourrait être celle de la diversification du club. Mais ce n’est pas le cas, sinon Wolfsburg aurait envisagé depuis longtemps d’ouvrir des équipes dans d’autres disciplines que le football. Notre avis est qu’il s’agit d’une (excellente) stratégie de communication auprès d’un public captif pour la marque Wolfsburg. Recruter un joueur de FIFA permet, en effet, d’attirer une communauté pertinente pour un club de foot et donc de développer la visibilité de la marque grâce à l’e-sport. Pour rappel, le coeur de cible publicitaire de cette discimpline sont des hommes âgés de 21 à 35 ans. En fait, l’équipe de Wolfsburg agit ici comme un annonceur ! Cela montre autant l’opportunité incroyable du marché que l’importance prise par l’e-sport vis à vis du sport traditionnel.
IN : est-il possible un jour qu'une finale d'e-sport soit autant suivie qu'un grand évènement sportif planétaire ?
AN : quand on parle d’e-sport, beaucoup pensent instinctivement aux jeux de simulations de sports, football et basket notamment. Aujourd’hui ces jeux représentent selon nos estimations (basées sur les statistiques du mois d’août 2015 du site gamoloco.com) moins de 2% de l’e-sport regardé à travers le monde. Alors si on prend en compte cette donnée, alors non, FIFA ne sera probablement pas aussi regardé qu’une vraie finale. En revanche, d’autres styles de jeux comme le célèbreMOBA (multiplayer online battle arena), League of Legends affichent des audiences déjà équivalentes à celles de certaines rencontres ! En octobre 2015, la finale de la coupe du monde de League of Legends a ainsi été vue par 36 millions de (télé)spectateurs uniques, avec un pic d’auditeurs simultané à 14 millions. Le sport des gamers n’a pas à rougir devant ses grands frères !
par ERIC ESPINOSA
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