La chronique de Jacques Pilet: la Chine déclare la guerre ... numérique

Publié le 10 Novembre 2016

La chronique de Jacques Pilet: la Chine déclare la déclare la guerre ... numérique

 

La guerre de demain. Pas en mer de Chine où semble s’apaiser la tension avec l’Indonésie. Pas avec la Cour d’arbitrage de La Haye dont Pékin se fiche pas mal des arrêtés qui lui sont contraires. Pas avec le Japon détesté, impensable affrontement.
 

La guerre a commencé contre les mastodontes américains du cyberespace.

Les Chinois ont compris ce qui nous échappe encore: la formidable emprise politique et culturelle sur le monde à travers Google, Amazon, Uber et d’autres à venir. Dans un champ insondable d’activités diverses et méconnues. Géants nés en Californie, récemment proclamée sixième puissance économique du monde.

Ce que craint d’abord le nouvel homme à poigne Xi Jinping, c’est bien sûr la libre parole. Le tour de vis est redoutable. Plusieurs défenseurs des droits de l’homme sont condamnés à de lourdes peines de prison. Les prérogatives particulières de Hong Kong se réduisent.

Le capitalisme d’Etat fleurit avec sa cohorte d’oligarques sous contrôle. Plus aucune forme d’opposition n’est tolérée. Ce qui ne gêne nullement les courtisans occidentaux si prompts par ailleurs à condamner d’autres régimes autoritaires.

L’offensive antiaméricaine va cependant beaucoup plus loin.

  1. Google a été chassé du marché par Baidu,
  2. Amazon a craqué devant Alibaba le conquérant.
  3. Et Uber vient de jeter l’éponge, ruiné par les mauvaises affaires et contraint par la pression étatique. Au profit du concurrent local, Didi Chuxing, ainsi assuré du monopole.

    C’est une nouvelle muraille de Chine qui voit le jour, informatique celle-ci.


Toutes ces manœuvres sont présentées comme des batailles commerciales.

Naïveté occidentale.

La protection du système et de la nation, les dirigeants communistes le savent, ne passe pas par les boucliers antimissiles. Mais par le combat contre une nouvelle forme d’impérialisme.

Rappel des chiffres. Huit portables sur dix utilisent l’Android de Google. La messagerie Gmail compte un milliard d’utilisateurs. Neuf internautes sur dix surfent sur le moteur de recherche de cette pieuvre qui se moque des frontières, soustrait des fortunes aux fiscs nationaux à travers les dédales financiers les plus opaques.

Face à une telle puissance, hormis la Chine, les Etats ne peuvent quasiment rien. L’Union européenne qui, elle, serait de taille, tente de réagir. De la façon la plus molle qui soit: en prolongeant d’interminables négociations. La Commission dénonce une «position dominante», des manipulations dans la gestion des données, des coups bas contre les rivaux. Le dernier round des palabres, cet été, permet d’espérer un compromis. Eric Schmidt, le big boss de Google, doit bien rigoler. Si le contentieux n’est pas réglé, son entreprise pourrait être condamnée à une amende allant jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires. Une broutille au regard de l’enjeu.

Ce qui devrait troubler le sommeil, sinon les ambitions politiciennes des dirigeants nationaux et européens, c’est autre chose: la mutation profonde et durable de nos sociétés à travers l’emprise numérique. Celle-ci est conçue, développée, imposée par des enseignes nord-américaines. Aucune entreprise européenne n’est à leur mesure. Ce règne induit des comportements, des logiques, des discours qui souvent s’opposent à nos diverses cultures et à nos intérêts. Tarte à la crème?

Ouvrons les yeux: c’est avec le management californien que les autorités de police helvétiques doivent «négocier» pour obtenir la fermeture de sites et la censure de vidéos violentes qui appellent au terrorisme islamique.

 

L’Union européenne, dit-on, est à court de grands projets qui parlent à l’imaginaire des peuples. Voilà un chantier qui aurait du sens au nom de la démocratie et de la liberté individuelle: une riposte politique et économique énergique ainsi que des investissements massifs en faveur de plateformes européennes.

Mais il faudrait pour cela une vision de l’avenir. Aujourd’hui, pour une grande part, les citoyens sont chloroformés par l’omniprésence culturelle américaine qui se manifeste, outre Google & Co., à travers le cinéma, la télévision, le bavardage des people. Le dire n’est pas un rejet stupide de la créativité d’outre-Atlantique qui n’a pas fini de nous épater. C’est refuser que le même «soft power» s’impose à toute la planète. S’il n’y a que les islamistes, les Chinois et les Russes pour se cabrer, merci bien! Nous trouverons d’autres mots et d’autres actes pour rester fidèles à nous-mêmes.

source : http://www.hebdo.ch/hebdo/chroniques/detail/la-chronique-de-jacques-pilet-la-chine-d%C3%A9clare-la-guerre

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