« Un Google des usines va émerger d'ici dix ans » : Industrie 4.0 : les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand

Publié le 29 Août 2018

Fondateur du cabinet Kohler C&C, Dorothée Kohler revient sur les différences de stratégie entre la France et l'Allemagne concernant l'industrie du futur.

Fondateur et directeur général du cabinet Kohler C&C, Dorothée Kohler détaille les objectifs stratégiques du plan de numérisation de l'industrie allemande, Industrie 4.0, et ses spécificités par rapport au plan français, baptisé « Industrie du futur ". Elle est l'auteur avec Jean-Daniel Weisz, associé fondateur du cabinet, de « Industrie 4.0 : les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand ».

Quelles sont les différences entre les plans Industrie 4.0 en Allemagne et Industrie du futur en France ?

Elles sont nombreuses. En Allemagne, la démarche a démarré en 2006, avant d'être officiellement lancée en 2011 lors de la Foire de Hanovre. Quelle est l'idée ? Pour les Allemands, le leadership industriel de l'Allemagne est en danger. Google est le concurrent numéro un parce qu'il pourrait un jour capter l'exclusivité de la relation avec le client. Pour contrer cette menace, il faut réussir l'imbrication entre les technologies logicielles et industrielles afin de pouvoir fabriquer un jour des produits personnalisés au coût d'une production de masse. Dans ce cadre, Industrie 4.0 est présenté comme la quatrième révolution industrielle. C'est une vision qui confine au rêve cybernétique, parfois à la science-fiction ! Et pour réaliser ce rêve, il faut créer des standards ouverts permettant de connecter les machines et les systèmes au sein et à l'extérieur de l'usine.

Et en France ?

Chez nous, la démarche a été lancée en 2013 par Arnaud Montebourg, puis réorganisée l'an dernier par Emmanuel Macron.

L'approche est plus défensive. Il s'agit de profiter de la digitalisation de l'économie pour contrer le déclin industriel du pays. Le grand défi, c'est la relance de l'investissement industriel des PME et des ETI.

Une priorité moindre en Allemagne puisque celles-ci sont déjà très robotisées. Autre différence notable, Industrie 4.0 se distingue par une imbrication très forte entre les mondes de la recherche et de l'industrie.

C'est-à-dire ?

Sur la centaine de projets lancés en 2012 en Allemagne autour d'Industrie 4.0, près de 80 sont financés par le ministère de la Formation et de la Recherche, et non le ministère de l'Economie. Dans les consortiums qui travaillent sur ces sujets, on trouve souvent un grand groupe, une université technique, un institut, la Fraunhofer [institut spécialisé dans la recherche appliquée, NDLR], des entreprises du « Mittelstand " [les entreprises de taille intermédiaire, NDLR]... La démarche, qui associe aussi les syndicats, bénéficie d'un vrai consensus social. Par contre, les Allemands nous envient le dynamisme de nos start-up et la capacité des Français à penser en dehors du cadre, sans se limiter à de l'innovation incrémentale.

Les ETI allemandes sont-elles plus avancées qu'en France dans le numérique ?

Il y a aussi en Allemagne un sujet sur la diffusion d'Industrie 4.0 dans le « Mittelstand ». Aujourd'hui, beaucoup d'ETI n'en voient pas l'impérieuse nécessité et s'interrogent sur le retour sur investissement qu'elles peuvent avoir de cette exploitation des données. Elles se disent que cela va rendre leur offre plus chère sans que le client n'en perçoive clairement les bénéfices. Elles craignent aussi que ce basculement ne les mette dans la main des « big players » qui font la promotion de ces technologies.

Vous croyez à l'émergence d'un Google des usines ?

A horizon 10-15 ans, je pense que oui. Parce que l'idée est effectivement de proposer des plates-formes sur lesquelles viendront se greffer des « apps " dédiées à chaque filière, à l'instar de ce que fait aujourd'hui Apple. La question est de savoir si l'une de ces plates-formes deviendra dominante ou pas.

Est-ce que Industrie 4.0 va tuer les brevets en faisant la promotion de standards ouverts ?

Il est difficile de répondre à cette question. De notre point de vue, le modèle de l'entreprise fermée avec une forte culture de brevets a vécu. Ce n'est plus l'entreprise en tant qu'entité isolée qui va pouvoir défendre son leadership. Elle devra miser sur la coopération.

source : https://www.lesechos.fr/27/04/2016/lesechos.fr/021882363314_--un-google-des-usines-va-emerger-d-ici-dix-ans--.htm

 

Herve HEULLY entrepreneur New3S
Herve HEULLY entrepreneur New3S

 

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