Trottinettes, bâtons sauteurs, skates - Symptomes d'une infantilisation généralisée - Décryptage socio-psychanalytique

Publié le 20 Septembre 2019

On assiste à « une volonté de fuite, qui caractérise un refus de regarder en face la noirceur du monde actuel, en se réfugiant dans un univers enfantin

Agathe Fourgnaud psychanalyste et journaliste

C’est le triomphe d’une société « adulescente ». Ces nouveaux modes de vie sont portés par une société de consommation qui modèle des individus : la durée de l’adolescence s’est allongée, celle des études aussi et, finalement, l’entrée dans l’âge adulte est repoussée, quand elle n’est pas niée

Agathe Fourgnaud psychanalyste et journaliste

Trottinettes, bâtons sauteurs, skates et autres jouets sont devenus l'apanage d'adultes sillonnant les centres-villes. Cette infantilisation généralisée est plus menaçante qu'il n’y paraît. Décryptage socio-psychanalytique.

Trentenaires, quadras voire quinquas, n’hésitent plus à filer, cheveux au vent, sur des trottinettes. Selon la Fédération des professionnels de la micromobilité, 233 000 exemplaires ont été vendus l’année dernière, soit 129 % de plus qu’en 2017. Le marché du libre-service explose dans les grandes villes, où l’on croise aussi toutes sortes d’engins électrifiés de plus en plus délirants : outre les classiques skateboards ou planches à roulettes également motorisés, on voit apparaître des monocycles, gyropodes, gyroroues ou hoverboards, donnant au paysage urbain des allures de foire hautement festive.

Mais les prouesses des ingénieurs de la Silicon Valley n’expliquent pas à elles seules l’explosion du phénomène. Une infantilisation généralisée nous contamine tous, et les trottinettes n’en sont qu’un symptôme. « C’est avant tout l’effacement de ce qui sépare l’enfant de l’adulte, nous assure Michel Onfray. Les jeux, les habits, les paroles, les modes enfantines, sont copiés par certains adultes. La trottinette, la patinette, le patin à roulettes, qui sont autant de jouets d’enfant, procèdent à ce désir régressif. Les adultes ne veulent pas être des adultes, ils veulent être des enfants. » Ce syndrome Benjamin Button ne s’exprime pas que sur les routes.

Diffusée sur Netflix, la série Strangers Things, qui situe son action dans les années 80, a pour héros des enfants et multiplie les références passéistes. « La série a noué plus de 70 partenariats avec différentes marques, nous informe Jean-Laurent Cassely. On a, par exemple, vu apparaître à l’écran du Coca-Cola rouge, qui avait fait un terrible flop à l’époque, et qui est ressorti ! » Dans une logique comparable, Intermarché a proposé, pour ses 50 ans, une série de neuf produits dans leurs emballages d’origine : Vache qui rit et son logo d’époque, bouteille d’Orangina à l’ancienne, ou verre de moutarde Amora flanqué du personnage de dessin animé Goldorak.

Une volonté de fuite

Où prend racine ce nouveau désir régressif ? Selon le psychanalyste et journaliste Agathe Fourgnaud, on assiste à « une volonté de fuite, qui caractérise un refus de regarder en face la noirceur du monde actuel, en se réfugiant dans un univers enfantin ». À l’heure du chômage de masse, d’une catastrophe écologique annoncée et face à l’essor de la collapsologie – cette thèse selon laquelle notre civilisation serait condamnée à l’effondrement à court terme –, ce retour aux tendres années serait donc un dérivatif. « C’est le triomphe d’une société « adulescente ». Ces nouveaux modes de vie sont portés par une société de consommation qui modèle des individus : la durée de l’adolescence s’est allongée, celle des études aussi et, finalement, l’entrée dans l’âge adulte est repoussée, quand elle n’est pas niée. »

À bien y regarder, les villes elles-mêmes sont devenues de gigantesques aires de jeux, sinon des parcs d’attractions géants qui, soit dit en passant, constituent une autre exception française : 34 % des visiteurs de Disneyland Paris, première destination touristique en Europe, s’y rendent sans enfant. Célibataire, normalien, agrégé et professeur d’université, Raphaël dispose ainsi d’un « pass » qui lui permet d’arpenter les allées de son parc préféré de huit à dix fois par ans. « J’ai l’impression d’y retrouver de vieux amis, confie-t-il. C’est dans ce monde que j’ai appris le goût de l’histoire, grâce à des personnages voyageant dans le temps. À 6 ans, en lisant l’Histoire selon Dingo, je connaissais Pasteur, Galilée ou Luis de Camoes ! Et qu’on ne me parle pas de gamineries ! Parfois, garder son âme et sa curiosité de gamin peut avoir du bon ! »

Un projet de « pont trampoline », proposé en 2012 dans le cadre d’un concours d’idées de la Ville de Paris, a beaucoup fait parler de lui. Sept ans plus tard, ce pont est plus que jamais d’actualité : Anne Hidalgo et ses équipes chercheraient le lieu idéal pour l’installation d’une structure composée de trois gros trampolines reliés entre eux et permettant de connecter deux berges. Grégoire Zundel, architecte et cofondateur de l’Atelier Zundel Cristea, explique « avoir voulu faire quelque chose de marrant ». Et littéralement casse-gueule ? « On s’est dit que tomber à l’eau n’était pas très important », rit Grégoire

source :  http://www.rgcgroup.paris/tl/874-2/?d=1#tabs-1

Et si Paris se dotait d'un pont trampoline ?

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