Coronavirus : l’ARN viral détecté dans des dons de sang en Chine - Pourquoi pas bientôt ailleurs ?
Publié le 20 Juin 2020
Il est essentiel que les donneurs appellent le centre de don du sang s’ils présentent des symptômes après leur don, afin d’éviter le risque de don pendant la période d’incubation du Covid-19. En outre, à mesure que les cas asymptomatiques se multiplient, il sera essentiel de soumettre les donneurs à un dépistage de l’ARN viral au moyen de tests de haute sensibilité, comme nous le faisons dans la province de Hubei, pour garantir la sécurité transfusionnelle
Des biologistes chinois rapportent dans la revue Emerging Infectious Diseases avoir détecté la présence de l’ARN du SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la maladie Covid-19, dans des échantillons de plasma issus de dons de sang. Ces derniers proviennent de donneurs qui ne présentaient pas de symptômes.
Les chercheurs ont entrepris le 25 janvier 2020 de tester tous les dons de sang collectés par la banque du sang de Wuhan. Pour ce faire, ils ont utilisé la méthode RT-PCR permettant de détecter la présence du matériel génétique (ARN) du coronavirus SARS-CoV-2. La détection de l’ARN viral a été effectuée sur des pools d’échantillons sanguins (mélange du plasma provenant de 6 à 8 donneurs) ou sur des prélèvements individuels.
Dons de sang fin janvier 2020
Le 4 mars dernier, Le Chang, Lei Zhao et leurs collègues du National Center for Clinical Laboratories (Pékin) et de l’Académie chinoise des sciences médicales ont testé 2 430 dons de sang en temps-réel, dont 1 656 culots plaquettaires et 774 échantillons de sang total. C’est alors qu’ils ont identifié, le 28 janvier, qu’un donneur de 53 ans asymptomatique ayant fourni deux unités de plaquettes sanguines était positif pour le SARS-CoV-2. En revanche, les résultats des tests PCR effectués sur les dons de ce même patient, réalisés le 12 et le 26 décembre 2019, étaient négatifs : on ne retrouvait pas l’ARN viral dans ces prélèvements plus anciens.
Entre temps, le 2 février, le centre de contrôle et de prévention (CDC) de la province de Hubei a réalisé des tests PCR. Ceux-ont ont confirmé la présence de l’ARN du coronavirus à la limite du seuil de détection. De même, un prélèvement de gorge du donneur s’est révélé positif le 10 février. Cet individu est resté asymptomatique et a été placé en isolement dans une chambre d’un hôpital de Wuhan jusqu’à ce que deux tests PCR consécutifs sur des prélèvements de gorge, réalisés à un jour d’intervalle, soient revenus négatifs les 23 et 25 février.
Les spécialistes chinois ont également réalisé des tests sur 4 995 échantillons sanguins recueillis entre le 21 décembre 2019 et le 22 janvier 2020. Ils ont alors obtenu un résultat positif sur des pools d’échantillons sanguins collectés le 19 janvier dernier. Les biologistes sont alors remontés aux poches de sang stockées depuis une vingtaine de jours dans leurs réfrigérateurs entre 2°C et -8°C. Aucun échantillon de plasma (stocké à -20°C) n’était cependant disponible pour ces tests de détection, tout le plasma ayant à l’évidence été déjà utilisé pour des transfusions.
Les hémobiologistes ont alors identifié un autre donneur positif (un homme de 37 ans) pour le SARS-CoV2. Ils ont ensuite testé les échantillons plasmatiques de cet individu et ont obtenu des résultats positifs, ce qui montre, indiquent les auteurs, que « l’ARN viral est relativement stable dans le plasma ». Tous les lots de produits provenant du sang total prélevé chez cette personne ont immédiatement été tracés. Il s’est avéré qu’aucun n’avait été utilisé à des fins transfusionnelles. Quant à ce second donneur, placé en isolement à domicile, le suivi téléphonique a montré qu’il était toujours asymptomatique les 15 et 22 février.
Une enquête téléphonique menée auprès de toutes les personnes ayant donné leur sang durant les mois de janvier et février a permis d’identifier 33 donneurs ayant développé une fièvre après leur don. Tous les échantillons sanguins prélevés à partir de ces individus ont été détruits.
Les tests de détection de l’ARN ont ensuite permis d’identifier deux autres donneurs de sang positifs pour le SARS-CoV-2. Le don de sang remontait au 20 janvier. Les résultats des tests, réalisés à partir d’échantillons de plasma congelé, ont été faiblement positifs. Ces deux personnes (hommes de 21 et 42 ans) ont commencé à être fiévreuses le lendemain du don, leur température revenant à la normale après respectivement 7 et 8 jours.
ARN viral chez quatre donneurs asymptomatiques
Le 4 mars, les chercheurs ont analysé des échantillons de sang prélevés chez ces quatre donneurs à la recherche d’anticorps spécifiques du coronavirus (IgM et IgG). Les résultats sérologiques ont été négatifs, ce qui témoigne d’une infection par le SARS-CoV-2 extrêmement récente et implique la nécessite de suivre l’état clinique de ces individus.
Les auteurs de cette publication en ligne soulignent ne pas avoir de confirmation que l’ARN viral détecté chez ces donneurs puisse correspondre à la présence de particules virales viables dans leur sang. En d’autres termes, la détection dans le sang du matériel génétique du virus n’est pas synonyme d’infectivité. En effet, seule la culture du virus permet de déterminer le potentiel infectieux d’un échantillon biologique. De même, les chercheurs ignorent si le coronavirus a pu contaminer des lots de produits sanguins, mais ce risque potentiel ne peut être formellement exclu.
Les quatre donneurs Covid-19 positifs ont donné leur sang les 19, 20 et 28 janvier dernier. « Nous n’avons pas détecté le SRAS-CoV-2 dans les échantillons de plasma après cette date » , insistent Lan Wang et ses collègues de la banque de sang de Wuhan avant d’ajouter : « ce qui indique que les mesures de confinement strictes prises par le gouvernement chinois ont été efficaces ».
Et les auteurs de conclure : « Il est essentiel que les donneurs appellent le centre de don du sang s’ils présentent des symptômes après leur don, afin d’éviter le risque de don pendant la période d’incubation du Covid-19. En outre, à mesure que les cas asymptomatiques se multiplient, il sera essentiel de soumettre les donneurs à un dépistage de l’ARN viral au moyen de tests de haute sensibilité, comme nous le faisons dans la province de Hubei, pour garantir la sécurité transfusionnelle ».
Analyse immédiate de l’information en France
« A ce jour, les Chinois n’ont pas de preuve d’une transmission transfusionnelle, même s’ils restent prudents. Cette ARNémie est rare puisque détectée chez quatre cas sur plus de 2400 donneurs. Surtout, on n’a pas la preuve que cette présence d’ARN viral dans le sang corresponde à la présence de virus viable puisque seule la culture permettrait de l’affirmer », m’indique Pascal Morel, directeur de l’Etablissement français du sang. « On n’a pas là un élément pour considérer qu’il s’agisse d’un facteur de gravité dans la mesure où l’évolution clinique semble favorable pour les donneurs positifs ».
« Cette nouvelle information nous incite néanmoins à saisir nos collègues du centre national de référence des virus émergents en transfusion, à l’Institut national de transfusion sanguine, pour discuter avec eux immédiatement et leur envoyer cet article », me confie Pascal Morel.
Il convient en effet d’exploiter les échantillons sanguins qui pourraient être actuellement pertinents pour possiblement confirmer la présence de l’ARN du SARS-CoV-2, autrement dit pour savoir ce qu’il en est au sein de la population des donneurs de sang en France. Ces données viendront compléter celles de l’hémovigilance. « A l’heure actuelle, nous n’avons pas de remontées qui nous laissent imaginer une quelconque transmission puisque l’on a continué à transfuser des centaines, voire des milliers, de malades assez régulièrement depuis le début de l’épidémie. Nous n’avons à ce jour aucun signe laissant penser à cette possibilité [de transmission par voie transfusionnelle], notamment concernant les patients hospitalisés atteints d’hémopathies [maladie du sang] qui reçoivent des transfusions régulières. Si de tels patients devaient déclarer un Covid-19 à l’hôpital alors qu’ils sont à l’isolement, cela nous orienterait. C’est donc un élément plutôt rassurant. », fait remarquer Pascal Morel qui insiste pour dire que « la voie sanguine n’est pas la voie de transmission habituelle » du SRAS-CoV-2.
Au sein d’un groupe de travail, « nous allons faire l’analyse de la situation à partir d’échantillons biologiques utilisables pour rapidement tirer des informations et reprendre les éléments de cette publication en ligne afin de voir s’il y a lieu de prendre des mesures tout de suite » , conclut Pascal Morel.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)
Pour en savoir plus :
Chang L, Zhao L, Gong H, Wang Lunan, Wang L. Severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 RNA detected in blood donations. Emerg Infect Dis. 2020 Jul.(en ligne le 3 avril) doi: 10.3201/eid2607.200839
Chang L, Yan Y, Wang L. Coronavirus Disease 2019: Coronaviruses and Blood Safety. Transfus Med Rev. 2020 Feb 21. pii: S0887-7963(20)30014-6. doi: 10.1016/j.tmrv.2020.02.003
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