Un même espace aérien pour tous : appliquer le "geocaging" au drone !

Publié le 16 Septembre 2020

« Nous devons faire le pari que le drone sera rentable, mais nous avons du mal à voir l’équation économique.

Séverine Charmant (Conseil des drones civils)

Nous avons sans doute à apprendre des grands acteurs de l’aéronautique. Ils ont aussi à apprendre du monde du drone

Bastien Mancini (Delair)

Le drone aura le feu vert pour opérer à l’intérieur de l’espace aérien quand il sera en mesure de le faire avec un niveau de sécurité comparable à celui des aéronefs pilotés, avions et hélicoptères. L’idée fait son chemin. La collaboration entre les filières drone et aéronautique apparaît désormais comme le moyen d’atteindre cet objectif.

Le marché du drone n’a pas suivi la trajectoire ascensionnelle que dessinaient, pour lui, les experts, il y a une dizaine d’années encore. Il s’est néanmoins fortement développé, avec l’émergence d’acteurs mondiaux comme le chinois DJI dont le chiffre d’affaires est estimé entre un et deux milliards d’euros. Le drone est devenu un outil indispensable aux géomètres et chaque année des dizaines de milliers de kilomètres de réseaux sont inspectés par drone. Il pourrait faire beaucoup plus, mais son développement demeure entravé par une réglementation conservatrice.

 

Dans l’attente de la réglementation européenne du drone

En 2012, la France a fait figure de précurseur en mettant en place un cadre réglementaire destiné à accompagner le démarrage du drone. Mais alors que tous les six mois apparaissent de nouveaux matériels toujours plus performants, la réglementation n’a pas évolué. La filière est dans l’attente de la réglementation européenne qui aurait dû entrer en vigueur à l’été 2020 et qui finalement, pour cause de Covid-19, le fera le 1er janvier 2021. A partir de cette date, les états auront deux ans pour transposer dans leur droit national, la réglementation communautaire. Une réglementation qui instaure une corrélation entre le niveau de risque des missions et les exigences réglementaires.

 

A terme, l’Europe sera un vaste marché qui s’offrira aux entreprises du secteur dont les drones répondront aux normes européennes en cours d’élaboration. Ce que confirme Bastien Mancini, co-fondateur et directeur technique de Delair, l’un des principaux constructeurs de solutions drone français : « La réglementation européenne est une opportunité pour Delair qui veut vendre à toute l’Europe, le marché français n’étant pas suffisant pour se développer ». En juin 2020, l’UX11 de Delair est devenu le premier drone autorisé en Europe pour des opérations de grande élongation, c’est-à-dire hors-vue. Reste à attendre que la réglementation européenne diffuse à travers les 27 états.

Le Conseil des drones civils, lieu d’échange

Pour les drones petits et légers qui constituent la catégorie « Open », les normes devraient être rendues publique d’ici fin 2020. Ces drones continueront néanmoins à opérer dans un cadre restreint. En ce qui concerne des applications plus complexes, là où se situe véritablement le marché, il n’y a encore ni réglementation, ni standards. « Il existe un vide juridique parce que nous sommes confrontés à un vide technologique. Le matériel manque de fiabilité », explique Séverine Charmant, secrétaire générale du Conseil pour les drones civils (CDC).

Le CDC a été imaginé par la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) comme un lieu de dialogue entre la filière drone et les administrations. « C’est un outil de concertation pour définir les besoins et identifier les verrous qui doivent être levés », résume sa secrétaire générale.

Un plafond de verre

Depuis quelques années, le drone semble avoir atteint un plafond de verre. Un marché s’est développé en dessous. C’est la prise de vues aériennes, l’inspection d’ouvrages d’art, la surveillance de réseaux, les relevés topographiques, etc. Autant d’activités opérées dans un cadre contraint, sous conditions. Le véritable marché, celui qu’entrevoyaient les experts au début des années 2010, se situe au-dessus du plafond de verre. Et celui-ci est inaccessible tant que le drone n’aura pas fait la démonstration qu’il est capable de s’intégrer en toute sécurité dans l’espace aérien.

Le défi est immense. Il est à la hauteur des enjeux économiques, voire environnementaux. D’où l’intérêt manifesté par des acteurs de premier plan de l’industrie aéronautique. A ce stade de l’évolution de l’espèce, il apparaît que l’avenir du drone implique un rapprochement des filières drone et aéronautique. Seuls des drones certifiés pourront faire voler en éclat le plafond de verre. Et qui mieux que l’aéronautique maitrise le savoir-faire en matière de certification ? Cela ne signifie pas pour autant que la partie est gagnée d’avance. Les verrous technologiques à faire sauter sont complexes.

Le marché du drone mise sur le vol hors vue

« Au sein de l’ONERA, une centaine de chercheurs travaillent dans tous les domaines qui touchent aux drones, à l’exception des batteries », précise Henry de Plinval, directeur du programme Drones de l’ONERA. Le domaine d’intervention du laboratoire français qui possède une bonne connaissance des besoins de l’industrie, est la recherche appliquée. Il est en première ligne dans le plan de soutien à l’aéronautique qui, en ce qui concerne le drone, porte essentiellement sur trois axes de développement : la grande élongation, la logistique hub to hub et les drones d’urgence en ville.

Ce plan qui court sur 2020, 2021 et 2022 a pour objectif d’accélérer les travaux, en particulier sur les sujets les plus engagés. C’est le cas de la grande élongation, autrement dit de l’utilisation des drones sur de longues distances, en dehors de la vue du télépilote. C’est par exemple, la surveillance de réseaux électriques ou de voies de chemin de fer.

Grands comptes et donneurs d’ordres

L’ONERA travaille en étroite collaboration avec Altamétris, la filiale réseau de la SNCF, depuis six ans dans le développement d’un logiciel d’analyse du risque en fonction de la mission. C’est un drone développé par Delair qui est mis en œuvre. Le retour d’expérience intéresse directement la DGAC.

Le département Flight Avionics de Thales dirigé par Emmanuel Guyonnet est structuré depuis juillet 2019 autour de programmes spécifiques dont un dédié plus particulièrement aux drones. Il travaille notamment avec l’ONERA dans le cadre d’études cofinancée par la DGAC. « Nous développons des solutions d’avioniques qui permettront de sécuriser les opérations des drones. », résume Emmanuel Guyonnet qui est à la tête d’« une petite équipe souple qui connaît bien tous les matériels sur étagère ».

Il y a des familles de drones qui seront plus sûres et plus robustes que d’autres et qui seront de ce fait plus facile à certifier

Emmanuel Guyonnet. (Thales Flight Avionics)

Les verrous à faire sauter afin de libérer l’utilisation des drones sont nombreux. Le premier est d’ordre réglementaire. Il est en passe d’être traité. Restera ensuite à la filière de proposer des solutions qui s’inscrivent dans ce nouveau cadre. Dans l’immédiat, il s’agit de sécuriser les opérations actuelles.

Objectif « geocaging« 

Les professionnels s’accordent pour admettre que pour garantir le bon confinement du drone dans le volume qui lui est autorisé, la solution est le « geocaging », c’est-à-dire la limitation du vol au volume autorisé. D’où les travaux lancés en France dès 2018 pour développer des systèmes embarqués, efficaces, compacts et économiques. Des solutions devraient être proposées dès 2021 pour les drones légers et medium. Pour les plus lourds, cela prendra plus de temps.

Tout l’enjeu est de passer du régime dérogatoire à la routine ».

Henry de Plinval (ONERA)

Les objectifs à plus long terme concernent les vols de grande élongation. Actuellement les contraintes sont lourdes et les autorisations sont délivrées au coup par coup. Pour Emmanuel Guyonnet, la solution passe par l’intégration de suites avioniques complètes certifiées. Cela ne peut concerner que des drones au-delà de 40 ou 50 kg de masse maximale au décollage.

Pour le directeur de la division drone de Thales Flight Avionics, le « gros challenge » est la fonction « Detect and Avoid », passage obligé pour qu’un drone trouve sa place dans l’espace aérien. « Même quand nous parviendrons à détecter, il faudra éviter. Cela implique de mettre en place des règles d’évitement dans un espace hébergeant des flottes très hétérogènes. Faudra-t-il imposer un standard aux opérateurs de drones ? Pour le moment, il n’y a pas de lobby fort qui va dans ce sens ».

Le Conseil des drones civils met en avant d’autres verrous qu’il faudra également faire sauter : l’acceptabilité, la cyber-sécurité, les émissions électromagnétiques, etc. « Nous sommes sur le long terme », affirme Séverine Charmant qui adresse un « message d’alerte aux start up » qui, selon elle, se feraient « trop d’illusion ».

Gil Roy

source : https://www.aerobuzz.fr/aviation-generale/un-meme-espace-aerien-pour-tous/

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