Les réseaux sociaux excitent nos penchants naturels !

Publié le 5 Mars 2021

 

Professeur de sociologie à l'université de Paris, Gérald Bronner s'intéresse dans son dernier ouvrage à notre sensibilité cognitive qui jouerait un rôle dans notre manière de traiter les informations. Une théorie qu'il développe ici

Dans L'apocalypse Cognitive*, Gérald Bronner se penche sur la manière dont nos cerveaux sont sollicités par les nouveaux canaux d'information. Derrière la bataille pour dominer cette " économie de l'attention " se joue peut-être l'avenir de l'humanité

" Nous avons plus de temps de cerveau disponible que jamais auparavant dans l'histoire ", dites-vous, mais vous semblez inquiet quant à l'utilisation de ce temps. Pourquoi ?

La bonne nouvelle c'est que, grâce au progrès, nous disposons en effet de ce temps que je considère comme le véritable trésor de l'humanité, car c'est là que se nichent les futures découvertes scientifiques, les œuvres d'art, les nouvelles théories, c'est-à-dire tout ce qui peut nous permettre d'évoluer en tant qu'espèce.

Le problème, c'est que ce temps disponible est en majorité absorbé par les écrans.

Alors que le numérique pourrait potentiellement nous permettre de nous former en algèbre, en physique quantique ou en histoire de l'art, ce n'est pas du tout ce que nous faisons :

  • nous jouons aux jeux vidéo,
  • nous allons voir des extraits de films pornographiques ou des vidéos de chat,
  • nous passons du temps sur les réseaux sociaux où prédominent le conflit, l'indignation et la colère.

Notre époque révèle ce que nous sommes par l'intermédiaire de nos traces numériques. Or, ces traces définissent clairement ce que sont nos obsessions, auxquelles nous devons désormais faire face.

 

Quelles sont ces obsessions ?

Il existe en psychologie un phénomène que l'on nomme " l'effet cocktail " : au milieu d'une foule, votre cerveau est capable de suivre une conversation sans être perturbé par ce qui se dit autour. Mais si, à un moment donné, on prononce votre prénom, si une altercation éclate ou si le mot " sexe " est prononcé, votre attention va être mobilisée.

La sexualité, la conflictualité, la colère ou l'indignation morale sont pour nous de grandes obsessions. Or, le marché de l'information, qui a pour but de capter notre attention, a bien compris ce fonctionnement, et nous propose une proportion totalement exagérée de ce type d'informations.

Et si on songe que 90 % des informations disponibles aujourd'hui ont été produites ces deux dernières années, on mesure l'ampleur du défi.

L'une des conséquences de cette captation d'attention est que nous devenons de plus en plus crédules…

Cette " offre informationnelle ", qui s'adosse à des intuitions, fait appel à des formes de raisonnement trop rapides, favorise l'essor de thèses conspirationnistes qui ont de plus en plus de succès parce que les gens ont tendance à abaisser leur niveau de vigilance.

La technologie joue évidemment un rôle fondamental dans ce processus, mais ces dispositions préexistaient dans notre cerveau. Ce que font les réseaux sociaux et certains canaux d'information, c'est d'exciter nos penchants naturels.

Vous avouez avoir été vous-même été l'objet de croyances à tendance complotiste. Quelle expérience en retirez-vous ?

Adolescent, puis jeune adulte, je croyais à l'astrologie, à la magie, à la fin des temps, soit tout un tas de croyances loufoques…

La sociologie m'a sauvé en me permettant de prendre de la distance avec tout cela, mais j'ai retiré de cette époque la conviction que l'on pouvait croire à des choses folles sans être fou soi-même. Et que pour lutter contre ces croyances, il fallait d'abord chercher à comprendre les logiques qui les sous-tendent.

C'est la raison pour laquelle je n'ai aucun mépris pour les " croyants ", même si je peux combattre leurs thèses par ailleurs.

Vous regrettez la disparition des " gatekeepers " (journalistes, syndicalistes, universitaires, politiques…), qui jouaient autrefois un rôle de médiateur entre l'information et le public. Pourquoi ?

Les instances de régulation qui prévalaient auparavant, comme les médias, font en effet face à une défiance sans précédent. Mais le problème, c'est qu'entre un marché ultra-régulé comme l'était celui de l'information et un marché ultra-dérégulé comme il est en train de le devenir, il y a sans doute une voie rationnelle à trouver.

Il nous faut penser à une nouvelle organisation.

Mais cette régulation devrait se faire au niveau international. Comment faire ?

La question de l'information est devenue une question transnationale, comme le sont désormais les questions de santé, les questions environnementales ou fiscales. L'information est devenue un bien commun, qui doit être régulé par des institutions extra-nationales et non pas par des entreprises privées.

Cela pose des problèmes énormes, comme le montre la décision de fermer les comptes de Donald Trump : avant d'en arriver à ce qu'il faut bien appeler de la censure, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ont sans doute une réflexion à mener sur l'éditorialisation, la hiérarchisation des informations qu'ils diffusent.

Selon vous, l'apocalypse cognitive dans laquelle nous sommes plongés est en train de produire des conséquences politiques…

L'un des grands récits qui s'impose est celui colporté par le néo-populisme, qui est fondé sur l'idée de la trahison du peuple par les élites. Vous remarquerez que toutes les têtes de pont du néo-populisme, Trump, Bolsonaro, Orban ou Bepe Grillo, s'adressent à ceux qu'ils croient être le peuple en pratiquant la désintermédiation, c'est-à-dire en enjambant les " gatekeepers " traditionnels, en utilisant Twitter ou YouTube pour s'adresser directement à la population.

En revendiquant ce faux " bon sens ", en allant contre la science, en sollicitant systématiquement nos instincts, ces leaders s'appuient méthodiquement sur les traces obsessionnelles que nous laissons dans le monde numérique.

" L'utilisation de notre trésor attentionnel est la question la plus politique et la plus déterminante qui soit ", selon vous. Pourquoi ?

Nous ne sommes pas condamnés à être asservis par certaines réactions de nos cerveaux. Nous pouvons échapper à nos obsessions à condition que nous sachions prendre du recul, que nous ne nous laissions pas aller à la crédulité, et que nous soyons en mesure de profiter de l'état inédit d'évolution civilisationnelle auquel nous sommes arrivés.

Nous avons bâti des instances internationales - certes imparfaites - comme l'OMS et l'Onu, nous sommes allés dans l'espace, nous vivons plus vieux que jamais, nous soignons des milliers de maladies, nous avons accumulé un savoir extraordinaire mais nous sommes en train de nous laisser distraire en nous abandonnant à nos obsessions.

Et oui, il y a derrière cette distraction un risque mortel pour notre civilisation.

source : https://corsematin.com/articles/interview-gerald-bronner-les-reseaux-sociaux-excitent-nos-penchants-naturels-116068

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