De l'Antiquité à Google Maps, la cartographie miroir du pouvoir

Publié le 21 Janvier 2017

Google maps nous ment !
Les résultats qu'ils montrent sont leur vision des choses et pas la réalité.

Alexandre Léchenet, de la revue "Nichons nous"

De l'Antiquité à Google Maps, la cartographie miroir du pouvoir

Depuis l'apparition de la cartographie scientifique grâce aux Grecs à l'Antiquité, incarné par l'astronome Hipparque, la connaissance et l’intérêt cartographique ont évolué au fil des siècles. Retour sur une histoire qui illustre les avancés et les nouveaux défis des époques.

Inventée par les Grecs à l'Antiquité, la cartographie a subi au fil du temps nombre d'évolutions : passant d'une approche scientifique à une conception religieuse, pour finir par être définie comme une science quasi-exacte. Au delà du progrès technique et scientifique qu'elle incarne, la cartographie est aussi et surtout un outil de domination politique et militaire essentiel aux jeux de pouvoir plus que d'actualité aujourd'hui.

La connaissance dans ce domaine s'est particulièrement illustrée au fil de quatre siècles, du globe de Benhaim, en 1492, à celui de Kiepert, en 1879, comme le montre cette vidéo réalisée par la BnF :

Les Grecs inventeurs de la cartographie scientifique

Trois hommes vont lancer cette nouvelle discipline grâce à leurs travaux précurseurs. Thalès de Millet perçoit la rotondité de la Terre. Aristote en perçoit sa sphéricité, et Eratosthène la dimension de sa circonférence. L'astronome Hipparque, lui, est ensuite le premier à réaliser des projections cartographiques dans l'Histoire. Mais c'est Ptolémée qui symbolise la naissance de la cartographie en réalisant au IIe siècle la célèbre carte de la Méditerranée :

 

Les Romains ne disposant pas des connaissances cartographiques de leurs voisins grecs font appel à ces savants pour établir une image de l'Empire romain. Un inventaire général est ainsi créé pour des besoins militaire, mais également pour des besoins administratifs. La cartographie représente pour l'Empire un enjeu politique essentiel en terme d'unité, mais aussi en terme de contrôle. La Table de Peutinger, découverte en 1494 par le poète allemand Conrad Celtis, illustre les représentations cartographiques romaines de l'époque. Composée de plusieurs volets, elle illustre les villes, routes, fleuves, montagnes dans une région donnée.

 

L'imaginaire du Moyen-Âge

La période du Moyen-Âge dénote avec la période de recherche et de souci scientifique engagée jusqu’à présent. Plus mystique, mais aussi plus religieuse, la carte passe du statut d'instrument de connaissance au statut d'illustration sacrée. C'est l'avènement de la période des "mappae mundi". Ces cartes si atypiques représentent le monde en trois parties distinctes : l'Europe, l'Asie et l'Afrique.

 

Dans un monde de plus en plus religieux, ces cartes adoptent une spécificité au VIIIe siècle. Elles deviennent des cartes nommées "T dans O". Les trois continents sont toujours présents, mais la ville sainte de Jérusalem apparaît au centre : pilier du catholicisme européen. Elles doivent leurs noms de "T dans O" aux deux fleuves qui les traversent et qui forment un T : le Tanaïs et le Nil. Ces deux fleuves apparaissant dans un 0 symbole des limites connues du monde de l'époque.

Paradoxalement, la période du Moyen-âge est très inégale dans la connaissance de la cartographie. Minime voire inexistante en Europe, elle est hautement considérée en Chine mais aussi dans les pays arabes. Le géographe Al-Idrissi se distingue ainsi par ses cartes et réalise dès le XIIe siècle des planisphères du monde, mais aussi des cartes détaillées, dont une de la péninsule arabique :

 

Les aventuriers de la Renaissance

En Europe, à la fin du XIIIe siècle, la science de la cartographie renaît à l'occasion des grandes découvertes pour les besoins de navigation. Ce que l'on appelle les portulans, les cartes maritimes, apparaissent et donnent un nouveau souffle à la cartographie. La plupart du temps peintes, ces cartes indiquent les ports et les îles. Cette soif d’aventure entraîne aussi des avancées techniques importantes, dont les astrolabes qui permettent de mesurer les latitudes.

Les découvertes de l'Amérique en 1492 par Christophe Colomb, puis le voyage de Vasco de Gama en 1498 aux Indes, imposent rapidement la nécessité d'une lecture cartographique commune. En 1569, les parallèles et méridiens sont adoptés et l'année qui suit un atlas mondial est créé par le cartographe et géographe néerlandais Abraham Ortelius.

La cartographie moderne est née. Une fois les bases établies, les évolutions techniques, à l'image de l'astrolabe, régissent les avancées de la discipline. La projection Mercator, inventée par le géographe flamand Gerardus Mercator en 1569, permet par exemple de représenter le globe en deux dimensions.

Au delà de ces avancées, la cartographie redevient peu à peu un moyen de détenir le pouvoir et surtout de l'exercer.

La carte au service du pouvoir

Les Cassini. Giovanni Domenico, Jacques, César, Jean-Dominique. Ils sont quatre : le père, le fils, le petit-fils et l’arrière petit fils, à avoir œuvré, entre le Grand siècle et l’Empire à l’élaboration d’une carte de France, la première à si grande échelle, complète, rigoureuse et détaillée. Famille de référence dans le domaine de la cartographie en raison de la volonté du pouvoir de contrôler la typographie ainsi que les frontières du pays pour exercer pleinement son autorité, qu'elle soit physique ou fiscale.

Sous ordre du Roi Henri II, le géographe Nicolas de Nicolay avait posé les bases de ce travail, en traçant les provinces du royaume de l'époque :

 

L’intérêt pour cette discipline a connu un pic lors des deux guerres mondiales. En appui des stratégies militaires, l'exactitude et l'actualisation des cartes donne de facto un avantage sur une zone de conflit. Comme le montre les documents cartographiques récemment déclassifiés de la CIA portant sur la seconde guerre mondiale :

Aujourd'hui encore, les cartes sont plus que d'actualité. Et l'enjeu de pouvoir est en train d'être transféré de l'Etat aux entreprises privées, en particulier via Google Maps (4e application mobile la plus utilisée aux États-Unis en 2016, selon Nielsen), comme le soulignait sur notre antenne peu avant sa disparition Jean-Christophe Victor, qui fut le fondateur et directeur scientifique du Laboratoire d'études politiques et d'analyses cartographiques (Lepac) :

C'est un outil esthétique. Vous avez des cartes actuelles et des cartes anciennes qui sont vraiment des merveilles. Ne vous laissez pas berner, ne vous laissez pas prendre pour des cons. Parce que là ce sont des outils extrêmement sensibles. Quand vous regardez les frontière entre Israël et le Liban au moment de la guerre, c'est extrêmement sensible. On ne négocie pas mètre par mètre, mais centimètre par centimètre. Il faut des cartes pour cela. C'est très important pour chaque Etat, et d'avoir des frontières stables. Une fois qu'elles sont stables, on peut négocier. (...) Les choses sont plus fragiles qu'il y a 10-15 ans sur le plan international. Ce n'est pas le moment d'avoir des frontières troubles. C'est une question extrêmement jouissive intellectuellement et importante politiquement.

Jean-Christophe Victor, fondateur et directeur scientifique du Laboratoire d'études politiques et d'analyses cartographiques (Lepac)

D'autres géants, comme Apple et Uber, investissent dans ce domaine alors que des alternatives citoyennes comme OpenStreetMap se développent. Ecoutez Alexandre Léchenet, journaliste de données et rédacteur en chef de la revue "Nichons-nous (dans l'Internet)" interrogé par Eric Chaverou :

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