L'ère des drones est arrivée : Synthèse en ce 8 mai 2015

Publié le 8 Mai 2015

L'ère des drones est arrivée : Synthèse en ce 8 mai 2015

L'ère des drones est arrivée

Ces objets connectés sans pilote, déjà indispensables aux militaires et jouets préférés des «geeks», s'invitent dans toute l'économie: ils savent cartographier, surveiller, identifier, livrer, informer... Pour réussir à changer le monde, il leur faudra vaincre les réticences du public sur le respect de la vie privée.

Lire le dossier complet dans Enjeux Les Echos, Mai 2015.

Il n'a pas l'air bien terrible lorsqu'il atterrit avec un léger bruit de tondeuse électrique. Le MR-1 de la société Fly-n-Sense 2,5m d'envergure, 4kg et une vitesse maximale de 120km/h vient de voler à peine une heure. Pourtant, lui et ses congénères ont de quoi bousculer bien des industries et... notre quotidien. Apparus au début du siècle dernier, les drones ont d'abord eu une très longue vie en kaki. Mais si les appareils militaires sont les enfants de l'aviation, leurs petits cousins civils sont ceux de la miniaturisation. Grâce aux systèmes micro-électromécaniques (MEMS), ces capteurs déjà présents dans les smartphones, ils ont vu leur taille diminuer et leur prix s'effondrer. «Le rythme de développement de cette industrie, c'est celui du smartphone plutôt que celui de l'aéronautique», aime à expliquer Henri Seydoux, le fondateur de Parrot, dont la moitié du chiffre d'affaires est maintenant dû aux drones.

Le premier festival du film de drone

Aujourd'hui, le marché est encore dominé par les drones de loisirs. Le chinois DJI et le français Parrot, qui en ont vendu chacun 1million, mènent la danse. Dans le monde professionnel, les principaux utilisateurs se trouvent dans l'audiovisuel. Les drones ont déjà colonisé la télévision où ils sont incontournables lorsqu'on veut des plans «beauty shot», marque de fabrique de magazines comme «Des racines & des ailes». La prochaine cible? Le cinéma. C'est d'ailleurs aux studios hollywoodiens que l'Agence fédérale de l'aviation américaine (FAA) a donné ses premières autorisations de vol l'an dernier. Le drone pourrait modifier en profondeur la manière de faire des films. En permettant à la caméra de tournoyer autour des comédiens pour de longs plans séquences, impossibles à réaliser de façon traditionnelle. «En filmant la réalité avec une liberté qu'on ne connaissait jusqu'à maintenant qu'avec les images de synthèse et les caméras virtuelles, on va donner naissance à une nouvelle écriture cinématographique», assure Pascal Anquetil, directeur de la photo et cofondateur d'Athenium Films. Début juillet, CinéDrones, le premier Festival international du film de drones en Europe, va se dérouler à Bordeaux.

Plus de 200 applications

Mais ces engins s'apprêtent aussi à bouleverser des activités moins glamour. Ils sont très recherchés dès lors qu'il s'agit de remplacer l'homme dans des tâches répétitives, ennuyeuses, sales ou encore dangereuses. Beaucoup moins cher qu'un avion ou un hélicoptère, le drone est agile, simple d'emploi et discret. Plus de 200 applications ont été répertoriées dans de multiples secteurs: énergie, transport, construction, agriculture... Qu'il s'agisse d'aller inspecter des pipelines, des ouvrages d'art, des lignes à haute tension ou des pylônes. Le secteur pétrolier est déjà sur les rangs. L'an dernier à Pau, Philippe Barthomeuf, patron de Xamen Technologies, annonçait le premier drone compatible avec la réglementation Atex (atmosphère explosive), en vigueur dans la chimie ou le pétrole. Quelques jours après, il voyait débarquer la délégation d'un grand pétrolier américain: «Pour une compagnie, faire de la maintenance préventive sans arrêter un puits ou une plate-forme, ce sont des centaines de milliers de dollars économisés.» Même chose pour la sécurité. Surtout dans les pays étrangers, où la réglementation aérienne est moins contraignante. Comme en Russie, au Moyen-Orient ou en Thaïlande, où les petits appareils d'Infotron font la chasse aux trafiquants de drogue. «A 250 mètres d'altitude, notre appareil est inaudible et permet, avec un zoom puissant, d'obtenir d'excellentes images», assure Francis Duruflé, directeur commercial d'Infotron. En Europe occidentale, la prudence est de mise, même si la plupart des polices font déjà des essais et réfléchissent à la façon d'intégrer les drones dans leur panoplie. Les spécialistes de la sécurité civile les emploient déjà.

Un marché de 12 milliards de dollars en 2025

Le marché mondial, actuellement de 6,4milliards de dollars selon le cabinet Teal Group, devrait quasiment doubler d'ici une dizaine d'années, à 12milliards de dollars. Les engins militaires devraient continuer à dominer à court terme, mais le marché civil va énormément progresser. «Nous ne sommes qu'au début des services imaginables pour les drones», explique Stéphane Quéré, directeur de l'innovation de GDF Suez. Au premier chef, et même si c'est à plus long terme, le secteur de l'aéronautique sera très concerné. «A l'horizon 2050-60, il y aura des drones partout dans l'aéronautique, qu'elle soit civile, militaire ou de sécurité», relevait l'an dernier Jean-Marc Nasr, le directeur général d'Airbus Defense & Space.

Et D'ici à 2035, le leader de la fabrication des drones déclare que 95% de l'espace aérien militaire sera occupé par des drones (robots volants) pilotés par ... des robots terrestres.

Après tout, il y a bien aujourd'hui des métros sans conducteur... A l'aube de la révolution des drones, la France a sa carte à jouer, estime Philippe Dewost, chargé de l'économie numérique et du financement des entreprises au sein de la mission Programme d'investissements d'avenir à la Caisse des dépôts: « Ce secteur est à la croisée de plusieurs domaines. Celui des objets connectés, sur lequel la France est bien placée, et l'aérien, dans lequel nous avons une longue tradition.» Certes, le numéro 1 mondial des drones à usage professionnel, Microdrones, est allemand. Il revendique un millier d'unités vendues depuis 2005, bien plus que n'importe quel fabricant français.

La France aidée par l'administration

En France, le secteur, très dynamique, a toutefois pu compter sur l'administration. En 2012, alors qu'on dénombre à peine une cinquantaine de spécialistes, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) publie une réglementation assez libérale pour l'usage des drones. Autorisant même, dans certains cas, le vol hors de la vue du télépilote sur plusieurs kilomètres. «La DGAC a joué un rôle très positif pour le développement de la filière avec laquelle elle a activement collaboré», reconnaît Stéphane Morelli, président de la Fédération professionnelle du drone civil. Si bien que le secteur a prospéré, comptant aujourd'hui 1300 petites et moyennes entreprises avec 3000 emplois, pour un chiffre d'affaires d'environ 50millions d'euros. L'activité reste encore le fait de PME, avec 45constructeurs, comme Novadem ou Delair-Tech. Certains s'adossent désormais à des industriels: Fly-n-Sense au groupe VivaSanté, ou encore Infotron, filiale d'ECA. Survey Copter est, depuis septembre dernier, dans le giron d'Airbus. Parrot s'est aussi intéressé de près au secteur professionnel, avec le rachat du suisse SenseFly et des prises de participation dans Airinov et Delair-Tech.

L'âge des contes de fée ?

C'est encore l'âge des contes de fées. Par exemple celui de Squadrone, qui a levé l'an dernier 1,3 million de dollars en quelques jours sur Kickstarter avec son Hexo+, destiné aux sportifs de l'extrême. Mais également celui des crashs. Comme celui de DeltaDrone, qui a surestimé la vitesse de décollage du marché. Le foisonnant milieu des opérateurs de drones se consolide sous le regard attentif des grands clients, la SNCF, EDF, ou les géants du BTP, qui veulent travailler avec des prestataires de services structurés. GDF Suez vient ainsi de prendre une participation de 2 millions d'euros dans le capital de Redbird, via son fonds New Ventures. Parmi les grands de l'aéronautique, Thales est le plus actif. A Bordeaux, il a détaché un de ses représentants pour animer le cluster régional Aetos et multiplie les partenariats avec les PME comme Infotron, Aviation Design, Novadem ou Fly-n-Sense. «La philosophie de Thales est de traiter tous les aspects technologiques, sauf la plate-forme de vol, et d'avoir des partenariats avec des PME innovantes», note Pierrick Lerey, directeur de la stratégie drone pour les activités renseignement, surveillance et reconnaissance.

Les Etats-Unis plus frileux que l'Europe

Le contraste est saisissant avec les Etats-Unis, où la FAA a longtemps fait obstruction, craignant pour la sécurité de son ciel. «Beaucoup d'investisseurs ne touchent pas à ce secteur car ils pensent que c'est encore trop tôt et que le marché européen est plus intéressant», reconnaît le Français Jeff Clavier, investisseur installé aux Etats-Unis et actionnaire de la start-up DroneDeploy. Soumise à un intense lobbying des professionnels, et surtout de poids lourds comme Google ou Amazon, la FAA a entrouvert la porte en février. Elle accepte les vols, mais à condition qu'ils restent dans le champ de vision du télépilote. Puis en mars, elle a décidé d'autoriser Amazon, qui a fait le buzz avec son intention de lancer un service de livraison par drone, à poursuivre ses tests sur le sol américain. Côté européen, la réglementation est aussi en débat. Début mars, la Commission européenne a réuni tous les acteurs du secteur à Riga en Lettonie, pour afficher son ambition de donner naissance à une réglementation commune. «Nous n'attendons que cela pour aller opérer dans les autres pays. Car cela reste très compliqué aujourd'hui », pointe Stéphane Morelli.

Comment exploiter les données collectées

Mais pour s'imposer dans le monde professionnel, les drones vont devoir progresser d'un point de vue technique. Aujourd'hui, c'est l'autonomie qui pèche. On travaille sur ce sujet dans la banlieue de Bordeaux, où s'est déroulé, dès 2010, l'UAV Show, le premier salon dédié aux drones civils. La filière dispose, avec le camp militaire de Souge, d'un lieu stratégique pour venir faire la mise au point des machines. C'est là que Fly-n-Sense teste son tout nouveau MR-1. La technopole Bordeaux Technowest veut pousser son avantage avec la création de Cesa Drones, une entreprise qui va doter la région de deux centres d'essais supplémentaires. L'ambition est de devenir un pôle de référence, avec notamment une école de pilotage. Il faudra aussi parvenir à industrialiser les process. Un drone est d'abord un objet connecté de plus qui va produire des données en quantités phénoménales. Aujourd'hui, les ordinateurs peinent à suivre la cadence. Ainsi, une journée suffit pour acquérir les données concernant 25 kilomètres de voies de chemin de fer à débroussailler, «mais il faut ensuite trois semaines pour les traiter et savoir concrètement où intervenir», remarque Nicolas Pollet, directeur du pôle drones au sein de la direction Ingénierie & Projets de SNCF Réseau. Le marché n'a pas échappé à Orange, déjà en contact avec les opérateurs de drones et les grandes entreprises utilisatrices. «Il faudra être capable d'exploiter ces données de façon industrielle. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Et demain, cela devra même se faire en quasi temps réel alors que les engins seront encore en l'air», résume Luc Bretones, directeur du Technocentre d'Orange.

Vers un durcissement de la législation

On peut s'attendre à des réticences, voire des craintes, de l'opinion publique. Si on n'a enregistré aucun accident jusqu'à présent, on en est passé parfois très près. Par exemple aux abords des aéroports en Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis. Ces petites machines mettent également à rude épreuve les nerfs des policiers. En France, les forces de sécurité ont assisté, impuissantes, à une soixantaine de survols illégaux. Le mois dernier, via un appel à projet de l'Agence nationale de la recherche, l'Etat a demandé à deux consortiums pilotés par l'Onera (le Centre français de recherche sur l'aéronautique et le spatial) et C&S de mettre au point des systèmes permettant de détecter et de neutraliser les drones indésirables. Un climat qui inquiète les professionnels. Ces machines devront enfin faire la preuve qu'elles sont compatibles avec le respect de la vie privée. Car si les caméras de vidéo surveillance sont placées dans les endroits publics, un drone, lui, ne fait pas la différence. La Cnil s'intéresse de près au sujet. Elle a esquissé l'idée d'une cartographie indiquant aux citoyens la présence de drones à proximité. Les plus indiscrets sont probablement les «joujoux» des particuliers. Le Rolling Spider de Parrot, qui pèse 55 grammes, coûte moins de 100 euros, se pilote depuis un smartphone et permet de prendre des photos. Et probablement très vite des vidéos transmises en temps réel. Des possibilités qui conduisent la DGAC à envisager un durcissement de la réglementation pour les drones de loisir.

Des origines anciennes, liées à des besoins militaires

200 ans avant J.-C. Les empereurs de la dynastie Han auraient utilisé les cerfs-volants (ci-contre) à des fins militaires, pour effrayer leurs ennemis ou calculer la longueur des tunnels pour assiéger des villes.
1849 Les Autrichiens arment des montgolfières sans équipages avec des explosifs pour bombarder Venise.
1914-18 Premières tentatives de conception de prototypes d'avions sans pilote radiocommandés.
1918 Georges Clemenceau, président de la Commission sénatoriale de l'armée, lance le projet «d'avions sans pilote».
1923 Premier engin volant sans pilote français (ci-contre) conçu par l'ingénieur Maurice Percheron et le capitaine Max Boucher. Non retenu par l'armée.
1935 Apparition du mot «drone» au Royaume-Uni (qui désigne le mâle de l'abeille), en référence au vol lent et bruyant de ces engins.
1934-38 Développement de prototypes de drones au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pour servir de cibles, notamment dans la formation des pilotes.
1946 Utilisation d'avions sans pilote par les Etats-Unis pour l'étude du nuage radioactif au-dessus de l'atoll de Bikini.
1964-75 Usage massif de drones durant le conflit du Vietnam: près de 3500 missions de reconnaissance ou de largage de tracts réalisées par les Américains dans le Sud-Est asiatique.
1973 Programme Scout en Israël, qui débouchera sur la création du premier drone moderne équipé d'une caméra.
1990 Première utilisation de drones armés par l'Iran durant le conflit contre l'Irak.
2003 Vol transatlantique d'un Global Hawk HALE (haute altitude) entre la Californie et le nord de l'Allemagne (ci-contre).
2006 Aux Etats-Unis, la National Oceanic and Atmospheric Administration utilise un drone-sonde comme «chasseur d'ouragans».
2008 La police française se dote d'un drone Elsa, destiné à surveiller les manifestations.
2012 Le ministère des Transports français réglemente l'utilisation des drones dans l'espace aérien national.
2013 Le FBI reconnaît utiliser des drones de surveillance aux Etats-Unis.

Un drone, c'est quoi ?

Il existe plusieurs familles de drones, aux formes très variées. Le drone à voilure fixe peut voler des dizaines de kilomètres. L'aile volante, plus manoeuvrable et robuste, souffre d'une autonomie moindre. Les appareils à voilure tournante (hélicos, multirotors) sont les maîtres du vol stationnaire. Un drone est un aéronef volant sans pilote à bord. Enfin presque. Car il possède un autopilote, qui tient sur deux centimètres carrés de circuits imprimés. Son premier rôle, assurer la stabilité. «Sans lui, un appareil à voilure fixe redevient un simple avion radiocommandé et un multirotor serait incontrôlable. Même pour le pilote le plus chevronné», assure Rodolphe Jobard, qui dirige la société Dronea et vient de publier Les Drones, la nouvelle révolution chez Eyrolles. Sur les engins les plus évolués, l'autopilote s'occupe de la navigation et, au sol, le télépilote humain (relié par radio) n'a plus qu'à indiquer des coordonnées à atteindre ou le parcours à suivre.

source : http://www.lesechos.fr/enjeux/business-stories/lenjeu-du-mois/02149384474-lere-des-drones-est-arrivee-1117326.php

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