La transformation numérique, un bouleversement sociétal et territorial ? Villes-entreprises, nouveaux métiers, ... Adaptation

Publié le 2 Septembre 2015

La créativité, domaine échappant à l'automatisation des métiers Benjamin Taveau ©
La créativité, domaine échappant à l'automatisation des métiers Benjamin Taveau ©

Tout le monde en est conscient, la révolution numérique est en cours et s’ancre de plus en plus fermement dans notre économie et nos vies quotidiennes.

Malgré de nombreux rapports, expertises ou études, il reste difficile d’évaluer et d’anticiper précisément les conséquences sociétales et surtout territoriales de cette transformation digitale. Il est néanmoins possible de déceler trois grands horizons possibles d’un bouleversement qui s’annonce considérable et sans doute durable.

  • Une nouvelle vague de « destruction créatrice »

Les premiers effets de la numérisation de l’économie sont déjà à l’œuvre sur le front de l’emploi : des métiers qui disparaissent, des professions qui évoluent et de nouvelles activités qui apparaissent. Les gains de productivité induits par les innovations digitales sont immenses et entrainent déjà une nouvelle vague de « destruction créatrice ». À travers ce concept, l’économiste autrichien Joseph Schumpeter décrit, en 1942, l’impact déstabilisateur du progrès technique dans les structures de production et l’emploi. Après la mécanisation agricole, puis l’ère de l’automatisation industrielle, c’est maintenant au tour du secteur tertiaire d’être menacé par l’ « ordinatisation des métiers ».

En France - selon un rapport du cabinet Roland Berger[1] - 42% des métiers actuels sont considérés comme fortement automatisables d’ici 20 ans. Grande nouveauté, cette automatisation ne concerne plus seulement les professions manuelles mais aussi les activités intellectuelles répétitives, donc susceptibles d’être réalisées par les outils numériques (big data, robotique, objets connectés, internet mobile). Depuis le début des années 2000, de nombreux secteurs ont été touchés par la révolution digitale : l’industrie du disque, le cinéma, la presse, la finance… Et ce n’est sans doute que le début, des pans entiers de l’économie traditionnelle étant menacés : le commerce physique, la livraison, la distribution, la construction, les métiers juridiques ou encore les fonctions administratives. Quel avenir pour les taxis, les transporteurs, les ambulanciers ou les auto-écoles avec l’apparition de la voiture autonome ? Quel devenir pour l’industrie manufacturière voire pour le secteur de la construction face au développement de l’impression 3D ?

L’étude du cabinet Roland Berger table, à l’horizon 2025, sur une perte brute de trois millions d’emplois dans l’hexagone.

A contrario, les métiers qui requièrent de la créativité, du contact humain et de l’intelligence sociale seront d’autant plus préservés et valorisés.

Certains domaines d’activités, comme l’environnement, la médecine ou la relation commerciale, devraient même tirer profit de la révolution numérique sans toutefois compenser - au moins à court terme - les destructions d’emplois.

Le terme qui s’adapte le mieux au bouleversement des marchés induit par l’apparition des nouvelles technologies numériques est celui d’innovation disruptive, employé par le professeur américain Clayton Christensen[2]. Le progrès technique permettra sans doute une société plus efficace et plus sûre mais posera la question de la pérennité du modèle de travail salarié. Une autre conséquence de l’économie digitale, la concentration inédite des richesses, risque de modifier en profondeur les équilibres sociaux et économiques. Réinventer notre modèle fiscal pour garantir une certaine redistribution parait dès lors primordial.

  • Une plus grande polarisation des activités et de la valeur

La transformation digitale devrait se traduire par une concentration géographique des emplois autour de métropoles particulièrement denses en compétences.

Le numérique s’accompagne d’une double tendance à la diffusion et à l’hyperlocalisation : pour le chercheur Antoine Picon[3], c’est une des contradictions majeures du système. Les nouvelles technologies nous permettent d’être moins dépendants du local mais – avec la logique de cluster, de pôle de compétitivité, de métropolisation - le besoin de proximité territoriale n’a jamais eu autant d’importance.

Pour Nicolas Colin, fondateur de TheFamily – un incubateur de start-ups digitales – «le numérique capte la valeur pour la concentrer en quelques points du territoire »[4]. Les métropoles, les clusters comme la Silicon Valley mais aussi - avec la généralisation de l'optimisation fiscale - les paradis fiscaux. L’économie numérique réduit les marges de manœuvres de l’État, lourdement endetté et désarmé pour lever efficacement l’impôt, et de nombreuses collectivités territoriales. On assistera sans aucun doute à « un affaiblissement de la redistribution de la valeur sur l’ensemble du territoire » selon Nicolas Colin. La fin du modèle d’égalité territoriale pour tendre de plus en plus vers le modèle de compétitivité territoriale ?

Les métropoles, grandes gagnantes de la transformation numérique? Benjamin Taveau ©

Les métropoles, grandes gagnantes de la transformation numérique? Benjamin Taveau ©

La dynamique actuelle et future des aires métropolitaines - qui s’explique avant tout par leur potentiel d’externalités incomparable (infrastructures, services, réseaux, potentiel humain) - cache des disparités internes sans cesse croissantes. Ainsi, en France, la pauvreté et les inégalités de niveaux de vie se concentrent principalement dans les grands pôles urbains. C’est à l’intérieur même des villes-centres que ces disparités sont les plus fortes : ménages très aisés et très pauvres se côtoient bien que n’habitant pas les mêmes quartiers ou arrondissements.

Le numérique et ses villes intelligentes pourraient accentuer ce déséquilibre, l’investissement étant souvent concentré dans les secteurs les plus attractifs et rentables…

  • L’émergence de nouveaux acteurs de la ville

L’État et les collectivités territoriales ont incarné l’aménagement du territoire de ces cinquante dernières années en France et dans de nombreux pays occidentaux. Leur rôle et leur influence devraient cependant s’amenuiser au fur et à mesure du tarissement des finances publiques.

A contrario, de nouveaux acteurs du numérique – dans une logique de diversification de leurs activités – sont apparus au tournant des années 2000. Ainsi, IBM et Cisco, multinationales spécialisées dans le domaine informatique, se sont intéressés à la problématique de la gestion des grands services urbains. A travers ce marché, qui pourrait représenter 1500 milliards de dollars d’ici 2020, l’ambition est de bâtir des villes intelligentes. Dans un contexte d’urbanisation dans les pays émergents et de métropolisation dans les pays développés, l’utilisation des outils numériques et des capteurs permettrait une ville plus fluide, plus économe et plus sûre.

Les géants du numérique seront-ils des aménageurs à part entière dans un futur proche ? Une hypothèse loin d’être improbable puisque que Facebook et Google comptent construire une ville multifonctionnelle pour leurs propres salariés.

Après la révolution industrielle du 19ème siècle et ses cités ouvrières, la révolution digitale du 21ème siècle pourrait voir la création de villes-entreprises, une utopie patronale à l’heure du numérique.

Bien d’autres domaines devraient être affectés par les innovations technologiques et voir émerger de nouveaux acteurs : la santé, le droit, l’éducation. Reste qu’avant de devenir hégémonique, l’économie numérique devra faire face à deux principaux obstacles : l’acceptation sociale et les limites environnementales.

Benjamin Taveau

[1] Roland Berger Strategy Consultants, Les classes moyennes face à la transformation digitale, octobre 2014

[2] Enseignant à Harvard, Clayton Christensen est l’auteur de The Innovator’s Dilemma: When New Technologies Cause Great Firms to Fail, Boston, Massachusetts, USA: Harvard Business School Press (1997).

[3] Sur ce sujet, Antoine Picon – directeur de recherches à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées - est notamment l’auteur de Smart Cities: Théorie et Critique d'un Idéal Auto-réalisateur. Paris, Editions B2, 2013, 120 p

[4] Voir la vidéo très instructive de TheFamily « Les Barbares Attaquent les territoires »

source : http://territoires.blog.lemonde.fr/2015/09/01/la-transformation-numerique-un-bouleversement-societal-territorial/

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